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Le Conseil constitutionnel censure les dispositions du projet de loi relatif à la responsabilité civile des gardiens de sites naturels

Alors qu’au mois d’octobre, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, l’Assemblée nationale adoptait un amendement visant à atténuer la responsabilité civile des gardiens de sites naturels sportifs, voilà que nous faisons de nouveau un pas en arrière dans cette évolution souhaitée et souhaitable.

Pour rappel, ce texte  réintroduisait la  notion d’acceptation des risques par la victime dans le cadre d’un accident corporel.

La FFME, à l’origine de ce combat, avait salué cette avancée qui permettait de tempérer les effets redoutables du principe de la responsabilité sans faute du fait des choses prévue à l’article 1242 al. 1er du code civil

Le Conseil constitutionnel vient de censurer cet article comme étant un « cavalier législatif » et donc inconstitutionnel (une mesure introduite dans la loi en préparation par un amendement qui n’a aucun lien avec le projet initial).

La FFME prend acte de cette décision qui résulte du fonctionnement normal de nos institutions, mais regrette son impact immédiat sur la responsabilité des propriétaires et gestionnaires de sites naturels d’escalade. Nous voilà revenus à la case départ.

Cette censure ouvre cependant la porte à de nouvelles démarches pour faire évoluer la loi vers une exonération totale de la responsabilité sans faute des gardiens de sites qui leur permettrait d’autoriser enfin sans contrainte l’accès des sites d’escalade aux grimpeurs.

C’est cette action que la FFME entend continuer à mener avec détermination dans les mois qui viennent.

Ci-dessous, l’analyse de Franck Lagarde (avocat conseil de la FFME) pour bien comprendre la décision du conseil constitutionnel:

Dans une décision du 3 décembre 2020 concernant le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, le Conseil Constitutionnel a censuré 26 articles considérés comme des « cavaliers législatifs », dont celui relatif à la responsabilité civile des propriétaires et gestionnaires de sites naturels

Dans le Bulletin n° 280 (oct. 2020, p. 6), nous avions signalé une possible évolution législative concernant la responsabilité civile des propriétaires et gestionnaires de sites naturels dans le cadre de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dit projet de loi « ASAP »).

Pour rappel, le 5 mars 2020, le Sénat avait adopté en première lecture un amendement du sénateur LR Michel Savin visant à insérer dans le code du sport un article L. 311- 1-1 aux termes duquel « les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature ou d’une activité de loisirs ne peuvent engager la responsabilité du gardien de l’espace, du site ou de l’itinéraire dans lequel s’exerce cette pratique pour le fait d’une chose qu’il a sous sa garde, au sens du premier alinéa de l’article 1242 du code civil ».

Ce texte visait sans ambiguïté à soustraire les propriétaires et gestionnaires de sites naturels du champ de la responsabilité civile du fait des choses, celle-ci faisant peser sur ces derniers, en cas d’accident imputable à un site de pratique (chute de pierres par exemple), une responsabilité de plein droit (sans faute).

La majorité présidentielle, tout en reconnaissant la nécessité d’une intervention législative sur cette question importante, s’était opposée à la rédaction de cet amendement sénatorial et avait soumis à l’Assemblée nationale un nouvel amendement visant non plus à écarter purement et simplement la responsabilité sans faute des gardiens de sites naturels, mais seulement à l’atténuer en permettant à ces derniers d’opposer aux victimes, en cas de contentieux, leur acceptation des risques.

L’amendement adopté le 2 octobre 2020 par les députés en première lecture proposait de formuler l’article L. 311-1-1 du code du sport de la manière suivante :

« Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant sur le fondement de l’article 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et prévisible, inhérent à la pratique sportive considérée ».

Comme nous l’indiquions dans le Bulletin n° 280, cette disposition avait pour effet de « réactiver » la fameuse théorie de l’acception des risques dans le régime de la responsabilité sans faute du fait des choses, théorie qui avait été sèchement abandonnée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 4 novembre 2010 (Cass., 2è civ., 4 nov. 2010, n° 09-65.947).

C’est cette dernière rédaction qui a finalement été retenue par la Commission mixte paritaire le 21 octobre 2020 (dernière étape du processus législatif puisque le Gouvernement avait décidé d’engager la procédure accélérée sur ce projet de loi). On se dirigeait donc tout droit vers une évolution législative qui, certes n’était pas tout à fait celle espérée, mais qui n’en constituait pas moins une avancée notable pour les propriétaires et gestionnaires de sites naturels concernés au premier chef, et plus largement pour l’ensemble des acteurs des sports de nature.

C’était toutefois sans compter sur un dernier obstacle, à savoir celui du contrôle de constitutionnalité. Malheureusement, celui-ci n’a pas été franchi avec succès. Saisi le 4 novembre par plus de 60 députés, le Conseil Constitionnel a en effet, dans sa décision du 3 décembre, censuré pas moins de 26 articles du projet de loi, dont celui concernant la responsabilité civile des gardiens de sites naturels, estimant qu’il s’agissait-là de « cavaliers législatifs », autrement dit de dispositions dépourvues de tout lien, même indirect, avec le projet de loi initial. Il faut bien reconnaître que l’amendement en cause n’avait pas grand-chose à faire dans un texte de loi consacré à l’origine à la simplification et à l’accélération des démarches administratives pour les particuliers et les entreprises…

Dont acte. Il faudra donc que les parlementaires sensibles à ces préoccupations trouvent, dans les mois qui viennent, un nouveau véhicule législatif pour enfin concrétiser cette nécessaire évolution des règles de la responsabilité civile appliquée aux propriétaires et gestionnaires de sites naturels ouverts au public à des fins sportives ou de loisirs.

On peut parier à cet égard notamment sur la proposition de loi du Sénat n° 678 portant réforme de la responsabilité civile. En l’état, celle-ci comporte en effet un article 2 dont la rédaction est très exactement la même que celle de l’amendement adopté par le Sénat en mars 2020 dans le cadre du projet de loi ASAP. L’occasion peut-être aussi pour le mouvement sportif, au-delà des préoccupations propres aux sports de nature, de faire reconnaître ses spécificités afin de ne pas se retrouver pleinement assujettis à un droit de plus en plus soucieux de l’indemnisation des victimes d’accidents corporels. Il en va, entre autres, de l’assurabilité des risques sportifs dans certaines disciplines…

Publié le : 09 décembre 2020 par Charles Loury

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