Entretien à coeur ouvert avec Manon Hily : sa vie d’athlète de haut niveau

À 30 ans, Manon Hily est l’une des figures de l’escalade française. Médaillée de bronze aux Championnats d’Europe 2022, triple championne de France de difficulté et infirmière de formation, elle incarne cette génération d’athlètes capables de conjuguer performance, passion et vie personnelle. Dans cette interview accordée à PlanetGrimpe, Manon revient sur son début de saison difficile, ses choix de carrière, son rapport à la compétition et sa vision de l’escalade aujourd’hui.
Un entretien à coeur ouvert, où Manon se livre avec sincérité.
Comment résumerais-tu ta saison 2025 jusqu’à présent ?
Comme bilan de mi-saison, je dirais d’abord que c’est une saison de reconstruction pour moi. Je l’ai déjà dit, mais après deux ans à essayer de se qualifier pour les JO de Paris, je pense que beaucoup de grimpeurs ont eu besoin de se reconstruire, en tout cas c’est ce que je ressens.
Cette année, j’ai donc repris mes marques. J’ai repris l’entraînement assez tard, en janvier, et j’ai mis du temps à retrouver ma confiance, retrouver ma grimpe, retrouver ma motivation. Sur chaque étape, ça a été dur mentalement. J’avais l’ambition de faire des finales à chaque fois et je n’y parvenais pas, mais je pense qu’il fallait passer par là pour rebondir. Dans ma tête, j’ai beaucoup progressé, et même physiquement, j’ai l’impression d’avoir plus ou moins retrouvé mon niveau. Du côté de la confiance que j’avais perdue, je dirais qu’elle n’est pas totalement retrouvée, mais que c’est en bonne voie. En tout cas, c’est que du positif avec une belle évolution au fur et à mesure de la saison.

© Tim-Nicolas Hopf
Quels ont été, jusqu’à aujourd’hui, les moments marquants de ta saison ?
Pour les moments marquants de ma saison, je commencerai par le premier sélectif. Je me suis pris un gros K.O. Je termine cinquième, et quand tu es censée être dans les favorites, ce n’est pas facile à encaisser.
Au final, je pense que c’est la claque dont j’avais besoin. Je me suis rendue compte que je n’étais pas du tout au niveau et ça m’a boostée ! À ce moment-là, la seule chose que je me suis dit c’est que j’allais devoir remonter fort le niveau, que je ne pouvais plus m’entraîner comme je le faisais, et que je n’avais pas beaucoup de temps pour le faire.
Pour être précise, j’avais un mois devant moi avant le championnat de France et deux mois pour le deuxième sélectif. Du coup, le deuxième moment marquant, c’est le championnat de France : je suis arrivée en me demandant si le premier sélectif reflétait vraiment mon niveau pour la saison et si je devais abandonner le projet d’être en équipe de France.
Dans tous les cas, je m’étais mis en tête que si je n’avais pas le niveau, je n’irais pas en Coupe du Monde ; ça n’apporte rien de finir vingtième quand on est en fin de carrière. Mais le championnat de France m’a quand même prouvé que j’étais capable de gagner ; mentalement, c’était super important.
Y a-t-il une performance dont tu es particulièrement fière cette année ?
La Coupe du Monde à Madrid. C’est tout récent, mais je suis tellement fière de ma grimpe ! Pour la petite histoire, j’ai décidé au dernier moment de changer ma manière d’aborder la compétition. Je me suis dit : « Ok, j’ai identifié un problème, je vais essayer de le résoudre en testant quelque chose », et quand ça marche, tu es super contente d’avoir trouvé ce petit truc qui te permet de mieux performer.
L’autre moment de ma saison dont je suis fière, c’est le deuxième sélectif pour l’équipe de France. Dans ma tête, je me disais que c’était sûrement ma dernière saison alors je voulais vraiment faire de gros résultats. Après le premier sélectif, je me suis rendue compte que ce n’était pas du tout ce qui allait se passer si je ne changeais rien. Je suis arrivée avec une sacrée pression sur ce deuxième sélectif en me disant : « Soit c’est terminé demain et tu fais zéro compétition, soit ça part. », et au final j’ai relevé le défi !

Manon Hily en finale de la coupe du monde à Madrid | © IFSC
Comment équilibres-tu ta pratique en falaise avec la compétition à haut niveau ?
Habituellement, je fais beaucoup de falaise et je trouve que c’est assez compatible. Quand je vais en extérieur, je ne fais pas juste deux voies, ça compte vraiment comme une séance d’entraînement spécifique.
En revanche, cette année, étant donné que j’avais beaucoup de retard dans ma préparation, je ne pouvais absolument pas me permettre de faire de la falaise. Et au-delà de ça, je n’en avais pas vraiment envie. J’en ai fait un peu, mais mon niveau était tellement différent des autres années que même en falaise, je n’arrivais pas à apprécier ma grimpe.
Pour continuer sur cette question de la falaise, j’ai une grimpe très instinctive, et je pense qu’aller en falaise, c’est nécessaire pour moi. Là, j’ai eu l’impression d’oublier un peu ce côté instinctif à force de ne faire que du plastique, que du flash, que de la lecture, alors qu’au final, des fois, c’est bien aussi de laisser parler son corps.
As-tu modifié ton approche ou ta stratégie par rapport à 2024 ?
Alors oui, forcément, par rapport à 2024, j’ai changé pas mal de choses. Déjà, j’ai arrêté de faire du bloc, je n’en fais que pour m’échauffer ou me faire plaisir avec les copains. D’ailleurs, je ne me rappelle même pas quand est-ce que j’ai fait ma dernière séance de bloc ! Je fais beaucoup de panneau, un peu de Kilter, et sinon, je ne fais quasiment que de la diff.
Cette année, la stratégie, c’était plutôt de gérer les dévers parce qu’on s’est rendu compte l’année dernière que je n’étais jamais allée en finale car je n’étais jamais allée dans les dernières plaques. Au-delà de ça, sur la planif, globalement, il n’y a pas eu de d’énormes nouveautés. Chaque année, on change un peu pour varier, par exemple on ne fait pas les mêmes cycles de musculation, mais ça reste plutôt dans le même thème.
Avec mon entraîneur, on est assez raccord sur le fait que pour mettre un bon run, il faut exceller dans ses points forts. Pour mon cas, c’est d’avoir la marge physique de faire des erreurs. J’ai une grimpe où je fais des erreurs et je l’accepte. L’autre point important à ne pas négliger c’est de bouger, beaucoup bouger, aller de salle en salle et faire beaucoup de à-vue. Finalement, je ne suis jamais à Marseille, je suis au moins deux semaines par mois ailleurs. J’ai été à Innsbruck, je suis beaucoup au Pôle France à Voiron, et je passe aussi pas mal de temps au TAG à Toulouse.
Je pense que j’avais vraiment besoin de me retrouver en tant que grimpeuse. Et surtout, faire le deuil de ma non-qualification aux JO et passer à autre chose. C’est chose faite.

© Jose Luis Moran
Qu’est-ce qui a été le plus dur à faire évoluer dans ton escalade cette année ?
Le plus dur cette année, ça a été de me retrouver. Retrouver un sens à la compétition. Envie de performer, oui, mais pourquoi ? Encore combien de temps ? Qu’est-ce qu’on peut changer pour améliorer les choses et pour ne pas encore faire des saisons où je suis toujours aux portes des finales ?
Je pense que j’avais vraiment besoin de me retrouver en tant que grimpeuse. Et surtout, faire le deuil de ma non-qualification aux JO et passer à autre chose. C’est chose faite.
Dans ton dernier post Instagram, on peut lire « J’ai choisi le plaisir à la performance » au sujet de la Coupe du Monde de Madrid. Peux-tu nous dire ce que ça signifie pour toi ?
Après la finale, je me suis rendue compte que j’étais un peu transcendée, un peu trop excitée, et qu’effectivement, ma grimpe avait été assez « bizarre ». Je n’étais pas du tout dans le même état d’esprit que lors de mes autres runs cette année. J’étais carrément différente.
Normalement, avant de grimper, je me dis toujours « pense à t’arrêter, pense à gérer, regarde les prises autour de toi, prends les informations, trouve des repos », beaucoup de stratégies tactico-techniques.
À Madrid, ça a été complètement différent. Je me suis dit : « ok, je veux juste grimper à l’instinct ». Du coup je n’ai pas trop lu les voies pour laisser davantage place à l’instinct. C’est ce que j’ai fait dès les qualifs et ça a plutôt bien marché. Je suis arrivée en finale et sans m’en rendre compte, je ne me suis donnée aucun objectif tactico-technique, si ce n’est que je voulais prendre du plaisir. Donc même avant de partir dans ma finale, au milieu, je ne savais pas trop ce que j’allais faire mais je ne me suis pas inquiétée, je me suis dit que dans tous les cas, c’était comme en falaise, et que j’allais trouver ce qui me correspondait le mieux, et pas forcément imaginer ce que l’ouvreur voulait qu’on fasse en tant que grimpeur.
Alors quand je dis que j’ai choisi le plaisir à la performance, c’est que je n’étais pas dans la gestion de mon effort pour mieux performer, j’étais simplement dans la gestion de ma grimpe pour grimper le mieux possible. C’était vraiment instinctif et non réfléchi. Pour être honnête, je pense que j’avais vraiment besoin de cette grimpe au moins une fois en compétition.

© IFSC
Comment vis-tu le rythme d’une saison complète entre entraînements, compétitions, escalade en falaise, vies personnelle et professionnelle ?
Cette année je travaille vraiment très peu (environ à 30% si on annualise). J’ai encore des financements avec la Fédération et l’Agence Nationale du Sport pour faire mon contrat d’insertion professionnelle, donc j’ai des heures financées pour m’entraîner. Et puis, comme je l’ai dit, je bouge énormément, donc c’est une vie de nomade, mais j’ai la chance à chaque fois d’être accompagnée, hébergée, soutenue. Quand je vais voir mon entraîneur à Toulouse, c’est comme si j’étais chez moi. Maintenant, j’ai aussi un appart à Grenoble donc je peux aller m’entraîner à Voiron quand je veux.
Côté vie personnelle, forcément, c’est moins de temps pour la famille, moins de temps pour les amis. Mais je pense qu’au bout de 10-15 ans, ils se sont habitués. C’est comme ça, c’est un choix et je n’ai aucun regret sur ce que je fais.
Je suis quelqu’un qui aime être entourée. J’aime partager les choses au quotidien, dans l’entraînement. Je le dis et je le redis, mon coach (ndlr. Vincent Etchar), c’est mon coach depuis 15 ans. C’est soit lui, soit rien.
Quel rôle joue ton entourage dans ton équilibre et ta réussite ?
Je suis quelqu’un qui aime être entourée. J’aime partager les choses au quotidien, dans l’entraînement. Je le dis et je le redis, mon coach (ndlr. Vincent Etchar), c’est mon coach depuis 15 ans. C’est soit lui, soit rien.
Si ce n’était pas lui, soit je ne ferais pas de compétition, soit ce serait moi, mon propre entraîneur. Mais je ne veux personne d’autre que lui. Et je le fais parce qu’on partage quelque chose de fort, tous les deux. Ça peut paraître dingue, mais quand je grimpe, je grimpe pour moi et une partie pour lui. Il donne corps et âme pour mon projet, notre projet. Je sais que ça peut être mal interprété, car on dit souvent que c’est le projet du sportif, mais je pense que c’est plutôt le choix du sportif, et moi, mon choix, c’est que ce soit notre projet et pas seulement mon projet. En plus de ça, on est une cellule parce qu’il entraîne ses enfants, et bien sûr, Ina [Plassoux Djiga], qui est comme une sœur pour moi. Je suis dans une cellule où il y a tout pour s’amuser, performer, et surtout, on est tous soudés, on se soutient tous, on se comprend tous. C’est un peu comme une famille.
Depuis tant d’années, ce qui me fait tenir, ce sont les gens qui me soutiennent et les gens avec qui je m’entraîne au quotidien. Avec les Jeux, il y a des relations entre grimpeuses qui se créent, comme avec Hélène [Janicot], par exemple. On s’est beaucoup rapprochées parce qu’on a vécu des choses hyper intenses. Et rien que pour ça, je trouve que c’est génial. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on arrive à avoir des relations beaucoup plus poussées avec des partenaires d’entraînement ou des membres de l’équipe de France. On est de plus en plus soudés et de vrais amis.
L’éventualité d’une qualification olympique te motive-t-elle encore ou orientes-tu ton énergie ailleurs ?
J’ai fait une croix sur LA2028. C’est dans trop longtemps. Et je pense avoir d’autres projets d’ici là, sûrement en falaise.
Pour être honnête, je pense que le jeu n’en vaut pas la chandelle. J’ai déjà essayé deux fois, c’était beaucoup d’énergie, et derrière, on ne se rend pas compte de la reconstruction nécessaire après des projets de vie comme ça, c’est très dur quand même. J’ai tout donné pour Paris, je ne regrette pas, mais je pense que je n’ai pas assez d’énergie pour recommencer sur un projet olympique.

© Arthur Ternant
As-tu des objectifs ou des projets précis pour la fin de la saison ?
Cette année, mon objectif, c’est d’aller en finale aux Championnats du Monde. Mais quand j’ai vu que le niveau était vraiment élevé, je me suis dit que ça allait être plus compliqué que prévu. Les sélections ne sont pas encore sorties, mais je pense que j’ai pris ma place pour les Championnats du Monde. Jusqu’à il y a encore quelques jours, je ne l’avais pas : Madrid était la dernière compétition pour me qualifier. Comme quoi, peut-être qu’il n’y a pas tant de hasard… En tout cas, mon objectif, c’est de faire une finale aux Championnats du Monde, parce que je ne l’ai jamais fait et que j’aimerais le faire avant d’arrêter ma carrière.
Et côté falaise, où en es-tu de ton projet dans « Biographie » à Céüse ?
J’avais prévu de retourner en falaise et de remettre les pieds dans « Biographie » après les Championnats du Monde. J’attends de voir au jour le jour comment je me sentirai, car ça va me demander de l’investissement, ce n’est pas le genre de voie où on peut aller le week-end et se dire que ça va le faire, il faut que je m’y mette à fond sans la compétition à côté. Ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas abandonner comme ça !
Tu inspires beaucoup de jeunes grimpeuses. Quel message aimerais-tu leur faire passer ?
Effectivement, j’ai remarqué que les petits grimpeurs entre 8 et 14 ans m’envoient beaucoup de messages, ou les parents qui me disent que j’inspire beaucoup leurs enfants. Pour moi, c’est hyper important et ça me fait énormément plaisir. Je pense beaucoup à la jeune génération.
J’ai toujours dit que je ne travaillerais jamais dans l’escalade, mais s’il y a bien quelque chose que j’aimerais faire, c’est transmettre cette passion et ce côté détermination en compétition, croire en ses projets, croire en ses rêves, ne pas se mettre de barrières, enlever tous les stéréotypes de genre chez les femmes, chez les filles, dès le plus jeune âge. Ce sont des leviers sur lesquels j’ai envie d’appuyer grâce à ma carrière ou à ma notoriété.
Et la compétition, l’escalade en général, c’est quand même un super moyen de trouver un sens à sa vie.
J’ai envie de transmettre aux jeunes cette mentalité, ces envies et cette persévérance que j’ai au quotidien et qui nous construisent tous et qui vont construire aussi ces enfants. Je trouve qu’on vit dans un monde où, sans passion, c’est quand même compliqué de sortir un peu la tête de l’eau. Et la compétition, l’escalade en général, c’est quand même un super moyen de trouver un sens à sa vie.
Je me suis construite à travers l’escalade et j’ai réussi à trouver ma place à travers l’escalade. On peut être timide et quand même avoir la rage intérieure, avoir un mindset où on est un battant et où on a de grands objectifs. On peut être des personnes assez effacées et quand même avoir de grandes ambitions !
En résumé, il faut s’accrocher et ça vaut le coup, la compétition, le haut niveau, l’escalade en général, ça apporte tellement de choses. J’ai envie de transmettre ce message qu’on a un sport qui est vraiment magnifique, et qui m’a apporté beaucoup. Tout ce que j’ai aujourd’hui dans ma vie, c’est grâce à l’escalade que je l’ai et grâce à ma mère qui m’a incitée à continuer quand c’était difficile et que j’avais envie de lâcher. C’est vraiment un sport qui nous construit en tant que personne et on est hyper chanceux de trouver cette passion !