Interview-Portrait de Romain Cabessut, ouvreur.
Salut Romain ! On commence par le commencement, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas encore et nous raconter comment tu en es arrivé là?
Je m’appelle Romain CABESSUT, j’ai 32 ans, je vis ma passion depuis plus de 20 ans, de l’escalade en falaise à la compétition en passant par les sports de montagne.
Les rencontres et mon attrait pour l’ouverture en escalade m’ont permis d’allier passion et profession, je suis donc devenu Ouvreur Professionnel en Escalade.
Mes débuts en montagne et en escalade ont démarré à l’âge de 12 ans grâce à mes parents et mon frère qui m’ont fait découvrir ce terrain de jeu exceptionnel que je n’ai plus quitté depuis. La compétition a de suite fais partie de mon activité.Des grimpeurs de très haut niveau de la région Toulousaine, notamment Eric Siguier ( mon mentor…;), m’ont poussé très rapidement vers le haut-niveau et m’ont définitivement rendu accro à la grimpe.
J’ai fais partie de l’Equipe de France Jeunes de nombreuses années, rencontrant par la même occasion des entraineurs comme Jacky Godoffe ou Paul Dewilde qui sont devenu par la suite mes partenaires de travail , et qui m’ont ouvert les portes pour être ce que je suis aujourd’hui.
Après quelques années de compétitions en Seniors, de Championnats de France en Coupe du Monde, j’ai regardé un peu de l’autre côté du rideau, cherchant à comprendre ce que pouvaient bien mijoter ces artistes en coulisses avec leurs échelles et leurs visseuses…
Un stage Ouvreur National en 2003, quelques ouvertures en compétitions régionales et nationales et me voilà catapulté sur mon échelle à ouvrir des blocs sur les Championnats d’Europe de Bercy 2008 pour Killian Fischuber et Jérome Meyer !!
En y repensant aujourd’hui, j’avoue ne pas avoir su si j’étais capable de jouer à ce niveau là, mais heureusement les 2 ouvreurs avec qui j’ai travaillé, et qui m’ont appris bien des choses, à savoir Jacky Godoffe et Marc Daviet, m’ont tout de suite mis à l’aise.
« Ecoutes là, le Toulousain, tu vas me virer ces trottoirs que t’as mis en prises de pieds et tu vas ouvrir du vrai bloc, avec les pieds à plats et des arquées que tu tiens pas, on n’est pas à Rodellar là… »
Le ton était donné, je n’avais plus qu’à apprendre…
Et puis voilà, de fil en aiguille, de vis à bois en macros-volumes, de stress en franches rigolades, me voilà aujourd’hui avec un bon paquet de compétitions et d’expériences d’ouverture dans mes petites mains et je suis vraiment satisfait de faire partie de cette aventure.
Bon, fini la nostalgie, on est là pour parler du concret.
Alors comment ça marche pour ouvrir un bloc de Coupe du Monde pour Jakob Schubert ou Adam Ondra ?
Ben il suffit de faire du 9b+ en falaise…non…heureusement que non d’ailleurs sinon je serais déjà boulanger ou vendeur de canapés. Cela dit, il y a peut-être des boulangers et des vendeurs de canapés qui font du 9b+…avec tout le respect que je leur dois.
Bref ,il faut arriver à imaginer des mouvements suffisamment intenses et complexes pour arriver à les faire trembler un peu quand même.
Tous les meilleurs grimpeurs de la planète ont ( heureusement… ) quelques points faibles et ils n’ont ( heureusement une fois de plus… ) pas tous les mêmes.
Et ils ont tous évidemment d’énormes qualités physiques et/ou techniques qui leurs sont propres qui nous permettent de proposer des problèmes divers et variés afin de valoriser le plus polyvalent.
On peut faire tomber un Jakob dans une dalle et un Adam en coordination par exemple.,Je dis ça, je dis rien…
On peut forcement discuter autour du fait que l’on va, volontairement ou pas, avantager un Jan Hojer ou un Rustam Gelmanov.
Notre but n’est pas de faire gagner le grand ou tomber le petit, ou l’inverse, mais de proposer un circuit le plus adapté possible à tous les gabarits et aux qualités de chacun.
Je pense que c’est d’ailleurs le plus gros casse-tête en ouverture, respecter la morphologie de chacun et que la difficulté soit ( à peu près ) la même pour tout le monde. On peut y passer des heures d’où la nécessité d’avoir une équipe d’ouvreurs de tous gabarits et avec des qualités différentes.
Quelles sont les différentes étapes pour l’ouverture d’une voie / d’un bloc?
Pour ce qui est de la méthode de travail, je pense que chaque ouvreur a construit la sienne.
Pour ma part, j’essaie de changer souvent, par exemple il y a 2 jours je me suis surpris à commencer l’ouverture d’un bloc en plaçant en premier lieu les prises de pieds !
Il ne faut pas se fixer de barrières, de contraintes, il faut suivre le courant et essayer ce qui nous fais vibrer, ce qu’il nous plairait de grimper, ne pas oublier de se mettre dans la peau du grimpeur constamment.
Ton style d’ouverture?
A chacun son style, chaque ouvreur a un peu sa signature, mais bizarrement, lorsque l’on discute des voies ou des blocs avec les grimpeurs à la fin d’un tour de compétition, ils te disent : « Toi t’as ouvert celui-là ! -Et non… Ah celui-là alors ! Et non plus…Ah ben merde ! »
Donc il faut tout essayer, même ses propres points faibles. Moi par exemple il faudrait que j’aille un peu au SkatePark avec Manu Hassler…;)
Des nouvelles prises arrivent sur le marché régulièrement, tu mets à jour ton répertoire à chaque fois ?
On dispose à chaque fois d’un bac à sable différent, avec des jouets que l’on connait bien, et d’autres pas du tout.
Il faut dire qu’aujourd’hui, les prises et les volumes, c’est un peu comme les radars automatiques, il en pousse tous les jours.
En Europe, les nouveautés circulent vite, les ouvreurs se lassent vite aussi.
On a pas encore assez d’échanges avec les USA et l’Asie bien que les fabricants essaient de plus en plus de faire circuler la marchandise.
N’empêche que dès qu’il y a un nouveau jouet, on est comme des gosses devant le sapin, et vu qu’il n’y a pas ton nom sur le paquet, t’as intérêt à être réactif pour pas te faire piquer le jouet par les copains…
Tu es plutôt Bloc ou Difficulté?
Pour ce qui est de la discipline, il y a des ouvreurs un peu « spécialisé » et d’autres qui font un peu les deux.
Pour ma part, j’aime vraiment les deux facettes, elles sont complémentaires et passer de l’une à l’autre en permanence m’évite de tourner en rond et m’oblige à expérimenter de nouvelles choses.
Il y a pas mal de grimpeurs de falaise qui vont me prendre pour un fou mais j’aime autant la grimpe dehors que la grimpe sur la résine, ce sont deux activités tellement différentes !!
On peut puiser dans l’une pour enrichir l’autre, en tout cas c’est mon sentiment.
Bon, il faut quand même signaler que les ouvertures en Bloc et en Difficulté ne sont pas comparables, tant au niveau physique que créatif.
Une semaine de bloc, c’est bon pour la création et le côté rapide de la mise en place.
Mais ça fait mal au corps et à la peau des doigts…sniff…
Une semaine de diff’, c’est plus long à ouvrir mais l’effort physique est moindre.
N’empêche que quand tu attaques à « contre-visser » une voie de 50 mouvements, t’as un peu l’impression de poser du Placo…
Les deux sont sympas à ouvrir et j’encourage tous les ouvreurs à jongler avec les deux pour ne pas s’enfermer dans des styles trop marqués.
Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir suivre en streaming les compétitions internationales.C’est une base de donnée vraiment énorme pour tous les grimpeurs et ouvreurs de la planète.
Toi qui ouvre depuis un moment déjà, quelle évolutions as-tu pu remarquer en bloc et en difficulté ? Et vers quel type d’ouverture se dirige-t-on à l’avenir selon toi ?
Pour moi, l’ouverture en bloc passe d’un style à un autre, du skate au serrage d’arquées, en fonction des ouvreurs et de la tendance du moment.
En difficulté, j’ai l’impression d’observer un schéma qui se répète un peu à chaque fois.
Je pense que l’on manque terriblement de moyens matériels pour pouvoir proposer des sections de voies qui soient plus « funky », plus acrobatiques et donc plus visuelles.
L’ouverture en difficulté est forcément un peu risquée puisque les grimpeurs n’ont qu’une seule tentative, mais il n’empêche que les ouvreurs ont le devoir de proposer des voies plus riches en émotions, ou du moins essayer de le faire, et de ne pas tomber dans le stéréotype de l’échelle d’arquées…
Une voie qui m’a particulièrement marqué cette année est la Finale Femme de la Coupe du Monde de Chamonix.
Des changements de rythme, un effort sur l’aspect visuel et une fin de voie sur des volumes où tout peut se jouer, cela procure une sorte d’émotion particulière, un enjeu pour le grimpeur et pour le public.
Et puis il y a de nouvelles pratiques en vogue, le psychobloc, la vitesse, chaque discipline a sa place. A nous de combiner tout ça au mieux et d’élargir le terrain de jeu pour que tout le monde puisse s’y retrouver.
Ton plus gros raté et ta plus belle fierté?
Et le meilleur pour la fin, mon plus gros bug et mon plus gros frisson…
Y’a eu beaucoup des deux…c’est comme ça qu’on apprend…
Ma plus grosse déception, la 1/2 finale homme sur la Coupe du Monde de Haiyang en Chine en 2014.
2 blocs pas faits, et un avec un seul top, un carnage…On est passé à côté comme on dit…
Mon plus beau souvenir de compétition, ça y’en a plein, mais je garde vraiment un super souvenir de la Coupe d’Europe Jeunes de Bloc de Laval, organisation au top, les blocs ont bien fonctionné, et tout ça mis en lumière et en image par nos confrères de Festivisuel, une belle compétition…
S’il n’y avait plus qu’une compèt à ouvrir…?
Je vais en mettre deux dans le doute…
Les Natural Games pour le public de malade lors des finales de bloc ( 27000 cette année selon les organisateurs, 15000 selon la police…;)
Les 24h du Mur pour la convivialité et la bonne humeur dans notre bon vieux sud-ouest…
Voilà un peu mon parcours et ma vision du métier. Et puis comme dirait Jacky :
« L’ouverture c’est pas bien compliqué. On pose une question. Le premier qui a répondu à la question a gagné… »
- Crédit photos: Sam Challeat, Marc Daviet & Coll. Cabessut