Interview: à la rencontre de Philippe Ribière
Salut Philippe! Alors avant de commencer, peux-tu te présenter et présenter ton histoire pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore?
Je m’appelle Philippe RIBIERE, né en Martinique. Je suis grimpeur depuis 20ans. J’ai commencé en 1995 après un refus catégorique d’un club de vélo qui ne me voulait pas sous prétexte d’être un handicapé. Ensuite je me suis inscrit dans un club gardois, « Vivre en Vaunage », qui m’a accueilli le plus simplement du monde, tel une personne normale.
En 1995, j’ai participé aux Chpts de France Jeunes a Buis-les-Baronnies. C’était sans doute la première fois qu’un grimpeur handicapé arrivait à ce stade de compétition.
Peux-tu nous en dire plus sur ton handicap ?
Mes handicaps sont pluriels. Le plus apparent sont les bras et les mains. Les bras sont plus courts que la normale, pas de force et les poignets fixes qui empêchent la prise de certaine préhensions comme les inversées et les fissures. De plus, pour les avant-bras, je n’ai pas assez de fléchisseurs pour serrer autant que la normale, En comparaison, pour un grimpeur de niveau situe entre le 7A et le 8C, ma force correspond à 20% de la votre. Dans mon escalade, il ne s’agit que de poussées vers le bas ou verticalement donc tout se joue au niveau des dorsaux et du bassin. Quoi dire de plus ?
Comment vis-tu ton handicap dans ta vie personnelle et sportive?
Question existentielle? Ma vie personnelle a été plus que mouvementée par les moqueries des enfants, adolescents et adultes. Et cela continue encore par la bêtise de l’homme qui se moque des différences sous prétexte du malaise de leur être. C’est vrai que je n’avais pas d’amis pour m’amuser, pour parler, etc. Je te passe les détails de ma colère envers cette incompréhension à mon égard mais en même temps cela m’a rendu extrêmement fort. Bizarrement mon premier sentiment était de la compassion pour ces imbéciles, au pluriel, masculin et féminin.
L’anecdote la plus incroyable fut un jour en Italie. Je revenais d’Arco après une compétition de Paraclimbing. Je me suis arrêté un temps sur une aire d’autoroute à un restaurant de fast-food qui fut longtemps mon bureau officiel pour un accès internet. Je me garais tranquillement. Un enfant de dix ans me regardait en tenant la main de sa maman. Il rigolait malicieusement et interpellait sa maman pour me montrer du doigt. Sa maman l’a de suite corrigé. Je me rendais dans ce restaurant pour profiter des toilettes. En passant, je vois le petit avec son frère, son père et sa mère. A mon retour, le petit ricanait en continuant à me montrer du doigt. Je suis allé vers lui et lui ai dit » Stop it,! It is not funny ! »
Bien sur il ne comprenait pas l’anglais mais bon. Le père s’est levé et a commencé à m’insulter assez poliment » Vaffanculo ». J’étais assez choqué de l’attitude de ce bonhomme. J’appelle un employé et lui demande de traduire mes paroles. « Monsieur, je peux comprendre que votre fils s’interroge et soit maladroit. Mais vous êtes l’adulte. Apprenez le respect à vos enfants ». Il était presque furieux et voulait me taper. C’est alors que l’employé l’a stoppé dans son élan. D’un sursaut de honte, la mère se levait et s’excusait auprès de moi de l’attitude imbécile de son mari. Cette histoire est extrême mais en fait elle est le reflet de mon enfance et continue encore.
Quelles ont été les évolutions entre l’escalade et le handicap ces 10 dernières années?
A vrai dire, je ne peux pas répondre à cette question par des chiffres et surtout je manque d’informations. Je crois savoir que beaucoup de Brevet d’Etat encadrent cette catégorie de personne. Personne n’a attendu Philippe Ribière pour les initier. C’est bien pour cela que je n’ai jamais voulu encadrer de l’escalade car des professionnels sont plus apte et compétant à cela. Il me semble que l’évolution a été très conséquente durant ces dernières années.
Après, je ne sais pas s’il y a un lien avec mon histoire dans le milieu. A mes débuts, j’étais un handicapé qui grimpe, puis je suis passé à un grimpeur handicapé et vers 2008, je suis devenu un grimpeur. A force de faire parler de ma personne, de me mettre à nu devant les médias, etc, j’ai gagné en respect mais surtout le langage a changé. Il aura fallu presque 12 ans pour que ce qualificatif change.
Quand j’ai commencé, je n’ai pas pensé que je pouvais avoir un rôle dans le milieu de l’escalade. Après les Chpts de France 1995, mes camarades me disaient de trouver des sponsors. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Et c’est en 1998, lors de mon année sabbatique que je me suis dis : « Un jour l’escalade voudra devenir une discipline olympique. Alors pourquoi ne pas créer une catégorie supplémentaire comme celle du Paraclimbing? J’ai alors contacté les instances de la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade et j’ai réussi a décrocher un entretien avec Jean-Paul Peeters qui m’a soutenu à fond. A cette ‘époque, il m’avait avoué qu’il était atteint d’un cancer et que ses jours étaient comptés. Je me souviens très bien. C’était en 2001, lors de l’étape française d’une Coupe du Monde de Bloc. Il me présenta également à Marco Scolaris (président de l’IFSC) et ils m’ont demandé de créer un événement comme support qui servirait à l’IFSC. Bien sur, jusqu’à ce jour, je fais cela bénévolement. Lors de l’année 2002-2003, je me suis mis au travail après un sérieux accident qui aurait pu me faire arrêter l’escalade à jamais. Et comme tous, j’ai pris conscience que l’escalade est un sport dangereux lorsque les règles de sécurité ne sont pas réunies. J’aurais pu finir sur une chaise roulante!
Donc en 2003, le Handi-Grimpe naquit de mes mains et de mes idées avec l’aide bien sur de l’organisation locale par le club Roc’n’Pof. Sur les cinq premières années, nous avons eu comme parrains Jérôme Meyer, Patrick Edlinger, Antony Lamiche, Daniel Dulac, Ludovic Laurence, Mélanie Son et quelques stars comme Robert Hossein, Yvan le Bolloch, Noémie Lenoire, Claude Makele et autres. C’était de belles années! Depuis 2005, la Mairie de Montigny-le-Bretonneux a pris en charge cette organisation jusqu’à aujourd’hui. Mais…parce qu’il y a un « mais ». Tel un rêveur, je pensais que les grimpeurs se souciaient du sujet sur le handicap. L’évènement était un support pour essayer de recenser le nombre de grimpeurs handis en France et surtout un appel pour que le Paraclimbing existe un jour.
Que penses-tu des compétitions handi-escalade qui commencent à fleurir au niveau international?
Déjà, on doit se féliciter d’avoir une équipe officielle, menée intelligemment par Sebastien Gnecchi. La FFME a choisi d’investir dans l’équipe financièrement et humainement. Je dois avouer que cela n’existe pas dans tous les sports.
Depuis juillet 2012, l’Equipe de France Handi est homogène, sérieuse, accomplie et performante.
A titre personnel, je lance un appel officiel pour que d’autres athlètes viennent nous titiller lors du Challenge National organisé chaque année à Massy. Plus nous serons nombreux plus nous aurons des compétitions nationales et internationales pour qu’ensuite les catégories soient départagées équitablement.
En 2010, l’IFSC organise par l’intermédiaire de Koishiro Kobayashi, NPO Monkey Magic, la première compétition non officielle au Japon
En 2011, les Championnats du Monde à Arco furent une belle compétition bien que tout n’était pas bien réglé. Et c’est normal que tout ne soit pas bien établi dès les premières compétitions. Regardes, les compétitions « normales » ont mis du temps à trouver les bons formats avec un mouvement de révolte par « Le Manifeste des 19 » dont certains ont fait ensuite des compétitions.
En 2012, on a vu apparaitre Nicolas Moineau avec une médaille en or, Mathieu Besnard avec une médaille en bronze, Noel Colin en 5eme position, Roxane Heli et moi en 7eme. Cela donne un grand élan à la discipline handi.
En 2013, les Chpts d’Europe se sont très bien passés à Chamonix avec une victoire de Mathieu Besnard et une 3ème place pour ma part et de bons résultats de l’équipe en général. Donc c’est positif! A noter tout de même que Mathieu fait le grand chelem en 2013 et 2014.
Quels points sont encore à travailler pour développer ces compétitions?
Le règlement et les séparations équitables et justes.
A vrai dire, des améliorations sont à faire pour les catégories «Neuro-physical- déficience». A titre personnel, je ne participe plus aux compétitions tant que tout ne sera pas équitablement établi. Et je ne veux plus m’entrainer 4h par jour et 5 jours sur sept pour finir dernier ou avant dernier dans une catégorie qui n’est pas la mienne. De plus, c’est aussi incompréhensible pour le public qui suit la discipline pour les même raisons avancées.
Aujourd’hui réussis-tu à vivre pleinement de ta passion? SI oui, comment?
Non, je ne vis pas complètement de ma passion. Je n’ai pas du tout à me plaindre. Seulement, la vérité est que je vis des Allocations Handicapées. Je gagne de l’argent avec mes sponsors – bien sur ce n’est pas le football – avec des invitations promotionnelles des conférences, des projections du film Wild One et etc. Je suis encore heureux à mon âge d’être reconnu par mes sponsors et les medias donc ça va encore. Je ne roule pas sur l’or mais cela va avec mon système de vie même si je rêve un jour d’acheter une maison mais je ne peux pas tant que les banques refusent des crédits aux personnes handicapées. C’est un fait ! Donc je dois travailler plus pour gagner un peu plus.
Dernièrement tu as sorti un film, « Wild One », tu peux nous en dire quelques mots?
Je pourrais dire quelques mots mais le mieux est de l’acheter non? C’est marrant, le film « Wild One » a été projeté et acheté un peu partout dans le monde sauf…en France!
As tu une explication à cela ?
Nul n’est prophète en son pays ? Sinon, je dirais que ce n’est pas assez dramatique ou pas assez télé-réalité pour faire pleurer la ménagère? Ou alors on s’y prend mal en communication ? Encore marrant, j’étais en Roumanie l’année dernière pour projeter le film. Les roumains ont carrément moins d’argent que nous et pourtant ils m’ont fait venir en sachant que ma prestation a un coût que seuls les français ne veulent pas payer. Des grimpeurs roumains ont fait douze heures de voiture pour venir à la projection. Tout dépend de l’intérêt que l’on porte au handicap, à la personne, etc. En Slovénie comme dans les autres pays de l’est, je suis considéré comme une « star » et le handicap est plus facilement abordé. Peut être aussi qu’en France, on fait semblant comme pour le Téléthon. La condescendance m’a toujours fait vomir quand je visionne la télévision française et les actes réels après. Il faut savoir par exemple que des lois ont été votées en 2003 pour l’aménagement des administrations pour les handis (aussi bien les cinémas, que les restaurants, les bus, les simples magasins, etc) et en 2015, presque rien n’a été fait. Pour le travail, une entreprise de plus de 100 salariés doit avoir 10% de son personnel handicapé. Tenez vous bien ! Les patrons préfèrent payer l’amende à l ‘AGEFIP que d’embaucher un handi. C’est une honte française ! On est des donneurs de leçons mais on ne se les applique pas à nous même. La première phrase entendue dans tous les pays a propos des français est : le français est arrogant. Et je ne dirais pas le contraire ; tout en me comptant moi-même dedans parfois.
Qu’est-ce qui t’a poussé à réaliser ce film?
L’envie de parler et de témoigner sur ma vision du handicap. J’en avais marre de me poser des « faux » problèmes. Je dis souvent lors de mes conférences que mon handicap est mon meilleur cadeau de la nature et je la remercie tous les jours pour que des Hommes regardent avec leur cœur. Franchement, cela m ‘a aidé à me tenir sur mes deux petites jambes, d’être fier de moi, d’être fier de recevoir des lettres anonymes de personnes qui m’ont vu à la télévision pour me remercier et qui font aujourd’hui des activités pour elles tout en s’épanouissant. Mon handicap m’a tout donné : la confiance, le respect et même l’amour avec un grand A. C’est pour cela que je me bats encore pour le Paraclimbing. Je ne serais pas aussi joviale si je n’avais pas découvert toutes les facettes de l’escalade.
Quels sont tes prochains projets?
Des projets sur le rocher, des voyages, des découvertes de spots inconnus et des films en préparation.
Tu ne comptes plus intervenir sur le développement et la reconnaissance du handicap en compétition ?
Je ne sais pas. C’est une question que je me suis longtemps posé cette année 2014. Pour les compétitions, je reviendrais peut être ou pas. Tout dépend de ma motivation. Est-ce que concourir pour devenir Champion du Monde est une récompense? La compétition me permet de structurer ma vie désordonnée. Elle me permet d’avoir des émotions et la satisfaction de faire un bon travail ou pas.
Sinon je pense doucement à partager mon expérience en devenant peut être un jour un entraineur pour des athlètes valides et handis. Apparemment, pour le moment, je ne peux pas envisager de l’être pour l’Equipe de France Handie. Cela m’est arrivé de le faire dans une salle a Nantes, El Cap. Les premières minutes, certains se demandaient si ce n’était pas une blague qu’un handicapé entraine des valides. Tous sont repartis avec une belle expérience et les fruits ont porté dans leur pratique de tous les jours. Avant, des grimpeurs pensaient que lorsque je donnais des méthodes ; je ne savais pas de quoi je parlais. Et bien tu sais quoi ? Je suis grimpeur comme toi.