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Escalade sur ordonnance : quand le sport devient un outil thérapeutique

- Le 07 octobre 2020 -

Escalade thérapeutique. Deux mots qui résonnent différemment selon qu’on est un professionnel de santé classique ou sensibilisé à notre sport comme technique de soin. Le premier pensera à la superposition des traitements et à la multiplication des médicaments pour traiter un patient dont la maladie s’aggrave. Le second se dira que l’escalade fait partie du traitement et que cette discipline représente un formidable outil permettant au patient d’aller mieux.

C’est dans cette voie que se sont engagés des centres de soin et de rééducation, utilisant l’escalade pour ce qu’elle offre en matière de mouvement mais aussi de possibilité de socialisation, de travail sur soi, toutes ces petites victoires qui font la beauté de la grimpe.

Utilisée auprès de patients atteints de schizophrénie, de psychose ou de troubles du comportement alimentaire, l’escalade thérapeutique permet de travailler sur les perceptions sensorielles. Avant même de grimper, enfiler un baudrier et ladapter à sa taille est déjà un moyen de se réapproprier ses limites corporelles. Pour ces personnes chez lesquelles on observe souvent une distorsion de limage du corps, allant parfois jusqu’à la fragmentation, sentir les appuis sous les pieds et les mains, coordonner ses gestes pour atteindre la prise suivante contribue aussi à re-lier le corps à l’esprit.

Nul besoin cependant de grimper haut et fort pour constater les bénéfices de la pratique. Dominique Monnin, physiothérapeute au centre de réadaptation du CH de Genève (Suisse) et membre de l’association Physioswiss, utilise une petite structure inclinable en positif comme en négatif de 8m de longueur et 3m de hauteur. Dans ses séances, le travail se fait beaucoup en bas du mur. «Pour certains patients, passer la première prise c’est déjà un sacré effort», nous explique-t-il. Ses patients sont des adultes, des ados mais aussi des enfants touchés par le handicap moteur ou neuromoteur transitoire ou permanent tel que des suites d’accident vasculaire cérébral, de traumatisme crânien ou encore une sclérose en plaques. Et pour celles et ceux qui arrivent à franchir l’étape de la première prise, l’activité peut se poursuivre avec l’apprentissage de l’encordement.

En réalité en escalade, chaque étape qui précède la grimpe relève autant du défi que l’activité en elle-même. Vous souvenez-vous de la fois où vous avez appris à faire un noeud de huit ? Mémoriser les étapes, saisir la corde et la faire passer au bon endroit, serrer le tout… Alors imaginez ce que cela peut représenter lorsque vos doigts ne vous obéissent pas aussi bien que vous le souhaiteriez ou que votre cerveau a du mal à enregistrer la succession des mouvements nécessaires. De même pour la coordination que nécessite l’enfilage d’un baudrier. Pour les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes et les psychomotriciens, l’escalade est sans aucun doute un sport très complet pour la rééducation de la motricité globale comme de la motricité fine.

Cependant, en escalade thérapeutique, on cherche aussi à apprivoiser progressivement l’angoisse, à améliorer les problématiques émotionnelles en particulier liées à la peur et à la confiance, et à favoriser la socialisation. Participer à une séance d’escalade thérapeutique, c’est faire la démarche de s’inclure dans un groupe et d’accepter l’autre, partager ses ressentis, pas simple pour tout le monde.

En cela, les séances d’escalade thérapeutique s’inscrivent dans une véritable démarche de projet de soin, associant l’équipe soignante et les aidants grâce à des temps de formation spécifiques. Ces formations sont assurées, en Suisse francophone notamment par l’association Physioswiss et en France par le Centre Pilote pour l’Escalade et l’Alpinisme de Vaulx-en-Velin (CPEAVV), dans le Rhône.

Au CPEAVV, c’est Cyril Gauthier, éducateur sportif et formateur en escalade thérapeutique qui accompagne les projets menés par des centres de rééducation dans toute la France, et parfois aussi dans les pays frontaliers. Selon lui, il n’y a pas d’escalade thérapeutique sans démarche inclusive, de la personne dans le groupe et de l’escalade dans sa vie.

Inclure l’escalade dans la vie d’une personne, qu’elle soit en situation de handicap mental ou moteur, cela commence par une visite du centre et si possible une rencontre. Cerner les habitudes de vie, permettre au patient d’identifier son moniteur, c’est pouvoir transférer quelques repères lors des séances et de fait, éviter de le placer dans une situation inconfortable, la découverte d’une nouvelle activité étant déjà suffisamment déstabilisante.

En parallèle, un temps de formation est consacré à l’équipe de rééducation et des aidants ainsi que des bénévoles. « Il faut au moins autant d’aidants que de grimpeurs pour une séance d’escalade thérapeutique, en particulier pour permettre l’assurage », précise l’éducateur sportif. Seul bémol : le manque de structures de proximité.

« Quand un patient adhère au projet, il est capable d’effectuer un long trajet pour une heure d’escalade. Et en ce moment, avec l’interdiction de la fréquentation du CPEAVV par les adultes à cause du COVID, certains ont perdu leur seule sortie de la semaine, il y a des décompensations. » Alors lorsqu’un centre de réadaptation convaincu par la pratique décide de s’équiper en structure d’escalade, c’est aussi lui qui accompagne le projet, amenant son expertise pour le matériel et la sécurité.

Au Centre pilote d’escalade et d’alpinisme de Vaulx-en-Velin, les séances d’escalade thérapeutique menées par Cyril Gauthier ont lieu sur cette structure de faible hauteur, mêlant copyrock et pan mobile kitgrimpe.

Au-delà de nos frontières, l’escalade thérapeutique semble assez développée en Autriche, notamment pour le traitement des affections psychiques. Dans les cliniques psychiatriques, il n’est pas rare de recueillir le témoignage de soignants qui voient des patients très dépressifs arriver à sortir de leur chambre pour aller grimper. Selon Alexis Zajetz, psychothérapeute et fondateur de l’Institut d’Escalade Thérapeutique à Thalgau, ce phénomène s’explique probablement par le fait que « l’escalade n’est pas identifiée comme une thérapie, ils n’ont pas à s’assoir et à parler – ils grimpent, c’est tout. »[1].

Eva-Maria Stelzer, une chercheuse américaine de l’Université d’Arizona et Katharina Luttenberger, une chercheuse allemande de l’université d’Erlangen-Nuremberg se sont d’ailleurs penchées sur la question et ont mis en évidence que la dimension sociale, mentale et physique de la pratique du bloc constituerait une forme de psychothérapie très bénéfique pour traiter la dépression chez les adultes[2]. Le fait de pouvoir adapter la pratique à ses capacités, contrairement à d’autres sports comme le tennis où il faut un certain niveau – au minimum ne pas rater la balle – pour se faire plaisir, joue certainement sur les mécanismes de gestion de la frustration, tandis que les encouragements des pairs permettent de dépasser les moments de doute et de se lancer dans des blocs nouveaux ou plus difficiles.

En France, les bienfaits de l’escalade sur le corps et l’esprit sont aussi exploités auprès de femmes en fin de traitement ou en rémission à la suite d’un cancer du sein. A Brest[3] et à Gap[4], comme au CPEA de Vaulx-en-Velin, des moniteurs spécifiquement formés se chargent de coacher en douceur les survivantes de cette maladie. Une pratique qu’on ne peut qu’encourager, au vu des bénéfices importants de l’activité physique sur le risque de rechute cancéreuse[5].

 

Technique de rééducation, outil de réappropriation du corps, thérapie complémentaire, moyen de socialisation, l’escalade est définitivement un sport riche en possibilités. Avec le développement des clubs et des salles privées lié à l’engouement actuel pour la pratique, il suffirait de quelques initiatives locales pour que les 10% de la population française en situation de handicap transitoire ou permanent aient la possibilité sinon d’adhérer, au moins de s’essayer à cette discipline.

Texte: Amandine Verchère


[1] https://www.ukclimbing.com/articles/features/climbing_therapy_in_europe_-_a_modern_medicine-8502

[2] https://news.arizona.edu/story/bouldering-envisioned-new-treatment-depression?utm_content=link1&utm_campaign=articles_id_9472&utm_medium=articles_post&utm_source=ukclimbing

[3] https://www.francebleu.fr/infos/insolite/a-brest-de-l-escalade-pour-les-femmes-touchees-par-le-cancer-du-sein-1600957913

[4] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/hautes-alpes/gap/gap-escalade-ordonnance-voie-suivre-1783813.html

[5] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/app_247_ref_aps_cancers_cd_vf.pdf

 

Publié le : 07 octobre 2020 par Charles Loury

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