Ecopoint : Et si vous donniez une valeur écologique à votre grimpe ?

© Chris Eyre Walker
Depuis quelques temps, certaines ascensions de nos grimpeurs professionnels sont accompagnées du terme « Ecopoint ». Dernier en date, et non des moindres, l’ascension du Dawn Wall par Seb Berthe qui s’est rendu aux USA en voilier. Ce concept élargit notre vision du « Redpoint » (que l’on traduit par « enchaîner » ) qui n’envisage que l’enchainement d’une voie comme fin en soi. L’Ecopoint va beaucoup plus loin en intégrant notamment dans la performance le moyen de transport et le respect général de la biodiversité alentours. Pour valider un Ecopoint il faudra vous rendre au pied de votre voie ou de votre bloc en limitant votre impact écologique, donc par un moyen de transport durable comme le vélo, la marche ou bien en utilisant les transports en communs.
Ce mouvement écologique se fédère depuis 2020 autour de la plateforme communautaire Ecopointclimbing, dont la grimpeuse allemande, Lena Müller, est à l’origine. Bien avant, d’autres athlètes avaient réalisé des performances sans voiture. Comme Patrick Berhault et sa traversée de l’arc alpin, mais l’aspect écologique de la démarche n’était pas autant mis en avant.
Afin d’appréhender l’essence (sans mauvais jeu de mots) de la pensée Ecopoint, nous nous devions de prendre contact avec celle qui en a fait son leitmotiv, Éline Le Menestrel, la cyclo-grimpeuse militante. Pour l’anecdote, Éline a répondu à nos questions sur son vélo alors qu’elle se rendait à la falaise de Freyr en Belgique en compagnie de Pablo Recourt, autre adepte de l’Ecopoint.

Les interview live avec le gang de Biker, Eline Le Menestrel et Pablo Recourt
Éline vient d’une famille illustre de l’escalade française, fille de Marc Le Menestrel et nièce d’Antoine Le Menestrel. Deux grimpeurs qui ont façonné à leur époque l’éthique de l’escalade libre et qui continuent encore aujourd’hui de réinventer notre pratique (via un livre sur l’éthique pour Marc et la danse escalade pour Antoine ). Ce terrain familial fertile à la réflexion aura permis à Éline de nourrir son propre chemin de grimpeuse professionnelle. Pour elle, impossible d’envisager l’art de l’escalade sans une manière durable nous explique-t-elle :
« Le plus grande partie de l’impact carbone d’un grimpeur vient de ses transports. L’action la plus directe est donc d’agir sur ses moyens de déplacements. »
C’est comme cela qu’elle en est venu à réaliser le projet Upossible, 35 jours sur la route, 5 zones d’escalade visitées, 880 km parcourus à vélo dans 6 pays différents et 4 515 km en train.

© Chris Eyre Walker
Une philosophie qui va au-delà du transport
Les défis écologiques sont multiples et Éline attire notre attention sur le fait qu’il serait dangereux de réduire le mouvement Ecopoint au simple transport :
« Changer son moyen de transport pour aller grimper c’est changer son rapport au territoire et aux autres habitants de ce territoire, humains et non humains. On développe ainsi une sensibilité plus fine à la biodiversité et à tout ce qui nous entoure. »
Cela pousse également à s’intéresser à comment on vit dans ce territoire, car il va falloir s’organiser pour trouver de l’eau, des ravitaillements et ainsi faire fonctionner l’économie locale.
Ne pas prendre sa voiture c’est aussi mettre son égo de coté en quelque sorte. C’est nous ramène à une humilité face aux réalités de distance ou de météo. Si il pleut, on peut aisément prendre sa voiture et faire 100km pour trouver une falaise sèche. Alors qu’en vélo, tout de suite la problématique est tout autre et on accepte alors de vivre au rythme de la Nature et de sa météo parfois frustrante.
On perd la sensation de toute puissance en tant qu’humain doté d’une voiture. Cela déclenche plein de transformations à d’autres niveaux. A partir du moment où tu changes ton rapport au territoire, tu changes ta manière d’habiter ce territoire. Et ça c’est vraiment un levier que l’on cherche à activer en changeant de transport. Le rapport au temps change également bien évidemment. Ce temps qui est central dans le productivisme et le capitalisme. | Éline Le Menestrel
Accepter de ralentir c’est aussi observer ce qu’il se passe autour de nous et peut-être mieux prendre conscience de l’importance de la sauvegarde de la biodiversité.

A la falaise du Ouaki sur l’île de la Réunion, l’écologie fait partie de la grimpe | © Planetgrimpe
Quels sont les impacts sur la performance ?
On se dit tout de suite que faire 1 ou 2h de vélo va forcément nous fatiguer pour grimper et surtout qu’à la fin de la séance on aura mal aux fesses en plus d’avoir mal aux doigts. Mais Éline nous rassure sur le fait que le corps s’adapte très facilement :
« Il y a 3 ans, quand j’ai commencé l’Ecopoint, faire 45km à vélo ça m’épuisait. Maintenant ça n’a presque plus d’impact sur ma performance en grimpe. Ça ne m’épuise plus. »
Et si Éline doit faire plus de kilomètres elle va ainsi donner plus de temps à l’escalade en partant 2 jours. Rouler le 1er jour, prendre une bonne nuit de repos et grimper le lendemain.
C’est grâce à la forme physique obtenue par la pratique du vélo qu’elle peut envisager des marches d’approche longues pour les grandes voies de ses rêves. En effet, elle a vu des améliorations bénéfiques sur sa résistance à l’effort :
« Vomir d’effort sur son vélo, pousser son corps tellement loin, ça fait que des trucs moins extrêmes me coûtent moins d’une certaine manière. »

Devenir un « dur au mal » grâce à l’Ecopoint © Chris Eyre Walker
Aller grimper en vélo serait presque du dopage si l’on écoute Éline :
« Venir en vélo ça me met dans des conditions psychiques où je performe plus. Quand on fait du vélo on relâche des endorphines, on arrive à la falaise sur son petit nuage ( NDLR : Les sports d’endurance sont les plus endorphinogènes). Surtout on est moins accaparé par la performance sur le rocher, donc on a moins de pression. Enchainer une voie moins dure en cotation mais le faire avec la manière et avec l’envie de défendre le territoire qui nous permet de grimper, c’est bien plus fort. »
Nous sommes toutes et tous dans un développement personnel via l’escalade. Et si grâce à l’Ecopoint nous pouvions transcender notre pratique, de base centrée sur nous-même, pour en faire un acte salutaire pour le monde qui nous entoure ?
Inspirée par Guillaume Martin, cycliste philosophe, Éline nous explique que grâce à l’Ecopoint elle a trouvé un dessein à sa pratique et son métier de grimpeuse :
« Le sport est tellement absurde. Il n’a de sens que celui qu’on lui donne. Explorer d’autres manières d’habiter le Monde et de faire Société, ça enrichit de sens ma pratique sportive. Sinon ma performance est un peu vide. Alors oui on peut dire qu’en tant que sportifs on peut inspirer les gens à être la meilleure version d’eux-même. Mais c’est un peu facile je trouve. A quoi ça sert d’inspirer le gens à faire des choses qu’il ne pourront jamais faire ? »
Ce qu’Éline veut dire par-là, c’est qu’il est moins important pour elle d’inspirer à faire un 8c que d’inciter quelqu’un à prendre son vélo pour aller enchainer son projet, peu importe la cotation. En style Ecopoint, la performance ne se résume donc plus à un chiffre et une lettre, mais elle devient holistique. La volonté derrière l’enchainement prend autant de sens que l’effort physique.
Velogrimpe.fr, le nouveau site pour préparer vos sorties

Le projet français qui va vous faciliter la tâche
« Tiens, c’est quoi les falaises les plus accessibles en train+vélo depuis Lyon ? »
C’est par cette question qu’a commencé le projet vélogrimpe, en mai 2024. Ce projet est à l’initiative de Florent Hours, grimpeur lyonnais à la conscience écologique. D’un document Word perso à un PDF en libre accès, nous voici maintenant avec un site web dont le but est de donner envie de réaliser des sorties vélogrimpe, et de faciliter leur organisation. Seul au départ, Florent a bénéficié de l’appui de son frère Sylvain pour la mise en place du site web, et c’est maintenant Yoann qui fait un énorme travail sur le développement du site. Ce projet est réalisé bénévolement, et les informations de ce site ont vocation à rester en libre accès.
La force du site est que chacun peut contribuer à enrichir la base de données en suivant 3 étapes :
Etape 1 : ajouter une falaise.
Prérequis : avoir le topo sous la main.
Etape 2 : ajouter un itinéraire vélo/à pied d’une gare à une falaise.
Prérequis : avoir déjà ajouté la falaise, et avoir une trace GPS entre une gare et la falaise.
Etape 3 : ajouter une description d’un itinéraire en train.

Des informations détaillées grâce à la communauté | © Velogrimpe.fr
Les conseils pour vous mettre à l’Ecopoint
- Le vélo
Faut-il un Gravel dernier cri pour faire de l’ecopoint ? Notre experte Éline nous assure que non et que vous pouvez ressortir votre vieux vélo oublié dans la cave. Par contre, il est impératif de délester votre dos de tout poids nous conseille-t-elle : « Au-delà de 5km de vélo il vous faudra des sacoches pour vélo pour ne plus rien avoir sur le dos. »
Même si la plupart des VTT ne disposent pas d’attaches pour porte-bagage, la marque Old Man Mountain fabrique des systèmes où l’on peut fixer des sacoches sur le vélo même si il n’y a pas d’attaches. Bon… Plus d’excuses quoi…
En plus d’un site très bien réalisé, Florent Hours de vélogrimpe.fr a également compilé dans un pdf un guide pour vous déplacer à vélo.
Vous y apprendrez comment prendre le train à vélo. Comment trimballer ses affaires ou encore comment résoudre les problèmes mécaniques.

Comment trimballer toutes ses affaires sur son vélo ? | © Florent Hours
- Une nourriture et une hydratation adaptées à l’effort
Votre dépense énergétique va augmenter, donc un verre d’eau et un sandwich ne suffiront plus (coucou Patrick Edlinger). Emma Berger, nutritionniste à Climb & Nourish et cyclo-grimpeuse, vous donne quelques conseils :
« Tout va dépendre de votre habitude à l’effort. Si vous n’êtes pas habitués à faire du vélo vous allez beaucoup plus ressentir la faim. Votre petit déjeuner devra être constitué d’énergie qui va durer, privilégiez donc des aliments avec des protéines complètes comme le pain complet, les œufs et le fromage. Pendant l’effort vous pouvez prendre des sucres rapides comme des barres de céréales ou des pâtes de fruits. »
Voici pour vous une recette de barre énergétique protéinée maison :
Barres fondantes au beurre de cacahuète
Ingrédients :
– 100 g de flocons d’avoine
– 40 g de graines de courge
– 30 g de graines de chia
– 50 g de beurre de cacahuète
– 2 c.à.s de sirop d’érable
– 1 pincée de sel
Préparation des ingrédients
Faites légèrement griller les oléagineux et les graines à la poêle ou au four pour plus de croquant et de saveur (optionnel).
Hachez grossièrement les fruits à coque et les fruits secs si nécessaire.
Préchauffez votre four à 160°C si vous optez pour une version cuite.
Mélange des ingrédients secs et humides
Dans un grand bol, mélangez tous les ingrédients secs : flocons de céréales, oléagineux et fruits secs etc.
Ajoutez le liant et/ou le sucrant, puis mélangez bien pour enrober tous les ingrédients.
Incorporez les épices, le chocolat ou d’autres ingrédients personnalisés, puis mélangez une dernière fois.
Mise en moule et cuisson ou réfrigération
Versez la préparation dans un moule rectangulaire chemisé de papier cuisson.
Tassez bien avec le dos d’une cuillère pour que les barres se tiennent après découpe.
Enfournez pendant 15 à 20 minutes à 160°C ou placez au réfrigérateur pendant au moins 2 heures.
Ils ont « écopointez »
La liste est non exhaustive tant le mouvement s’intensifie. Et on ne pourra bien entendu pas parler de tous les locaux qui se rendent sur leurs falaises à coup de pédales.
- Le fameux projet UPossible de Eline et Simon Kreutz
- Katherine Choong conquiert Zahir (8b+) en style Ecopoint, article de nos confères de Vertige Media
- Retour sur Bike to Eight : un projet écoresponsable : Tanguy Topin et Romain Noulette, deux grimpeurs de haut niveau qui se sont fixés l’objectif de réaliser plusieurs voies dans le 8ème degré en une journée et de se déplacer entre les secteurs à vélo.
- Pablo Recourt qui a parcourut la France en vélo à la recherche du plus beau 8a
- Escalade en roue libre, l’aventure de Yvan et Camille partis en vélo de Marseille pour explorer les falaises d’Europe jusqu’en Grèce.
- Solveig Korherr réalise une répétition des écopoints de l’Hôtel Supramonte en Sardaigne, article de Kairn.com
Citons pour finir l’incontournable Nolwen Berthier, qui avait fait du El Cap Festival, un évènement Ecopoint grâce à un challenge incitant à se rendre sur place en transport durable.

© Frédéric Delay Goyet
L’escalade est intimement liée à l’écologie. Elle a toujours été confrontée aux problématiques de protection de la biodiversité comme avec les arrêtés biotope ou les zones Natura 2000 qui encadrent notre pratique. La philosophie Ecopoint peut-être vue comme la prolongation de cette conscience écologique et le moyen de continuer à questionner l’impact de notre passion pour en faire un sport respectueux et inspirant.
Alors, prêt à prendre le train/vélo de l’Ecopoint en marche ?