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Démission du président de la FFME : entretien exclusif avec Alain Carrière

C’est une page majeure de la FFME qui s’apprête à se tourner : Alain Carrière a annoncé qu’il quitterait la présidence en 2026. Avant d’entamer cette transition, il s’est livré pour Planetgrimpe dans un entretien qui retrace ces quatre années passées à la tête de la fédération. Une période dense, marquée par la transformation du modèle économique, l’ouverture d’une nouvelle salle Karma, la professionnalisation croissante du haut niveau, mais aussi la gestion délicate des falaises et le processus de déconventionnement — l’un des dossiers les plus sensibles de son mandat.

Il évoque également l’évolution rapide de la pratique, portée par l’essor d’un public urbain et la montée du spectacle médiatique autour des compétitions. Dans cet entretien, Alain Carrière détaille les chantiers qu’il juge prioritaires pour la suite, revient sur les raisons de son départ, et confirme qu’il restera impliqué au conseil d’administration pour accompagner la transition. Une transition qu’il imagine sous la conduite de Sandra Berger, actuelle secrétaire générale, qu’il voit comme la future présidente de la FFME

Un échange dense, qui éclaire les enjeux des années à venir pour une fédération engagée dans une nouvelle phase de développement.


Alain, pour commencer, pouvez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a conduit à la présidence de la FFME en 2021 ?

Je suis entré au Conseil d’administration en 2008, sollicité par Pierre You, président de l’époque. J’étais alors président du comité territorial de Seine et Marne. Auparavant, j’avais contribué à la création du club Imagine à Pontault Combault.

Lorsque vous avez pris vos fonctions en 2021, quelle était votre vision du rôle de la fédération dans un paysage de l’escalade déjà en pleine mutation ?

Lorsque j’ai pris mes fonctions de président, j’étais déjà membre du Bureau en tant que trésorier depuis douze ans. J’avais donc une bonne vision de la fédération et des défis qu’elle avait à relever.

Le principal chantier auquel j’ai été confronté a été de combiner l’exigence de notre responsabilité de fédération olympique tout en consolidant notre rôle de fédération nationale, acteur majeur du développement de nos disciplines, en indoor comme en outdoor. Avec mon équipe, nous avons porté une attention particulière à faire le nécessaire pour que nos clubs comprennent et soutiennent cette double exigence, que certains opposent et qui pour nous sont complémentaires et constituent la richesse de notre fédération. Notre slogan était : « Valorisons la richesse et la diversité de nos activités ».

De quoi êtes-vous le plus fier durant votre mandat ?

D’avoir apaisé les tensions qui se développaient à mon arrivée au poste de président. Ce résultat est le fruit de l’engagement de mon équipe, élus comme salariés. Les débats sont maintenant constructifs et les différents points de vue y ont leur place.
Des administrateurs qui étaient sur la liste d’opposition lorsque j’ai été élu ont reconnu les avancées, l’ouverture d’esprit qui a permis d’apaiser les tensions et d’avancer sans contourner les obstacles, mais en les franchissant.

Parmi les évolutions mises en place, lesquelles vous semblent réellement structurantes pour les prochaines années?

La transformation du modèle économique de notre fédération. Nous allons ouvrir dans les jours qui viennent une deuxième salle Karma dans le parc de La Villette. Les excédents d’exploitation de la salle Karma Fontainebleau constituent déjà depuis dix ans des ressources au bénéfice de l’ensemble de la fédération. Je suis convaincu que celle de Karma La Villette complètera significativement celles-ci.

Y a-t-il un projet ou un choix que vous auriez souhaité mener autrement, ou qui reste pour vous inachevé ?

Il y a urgence à diversifier nos sources de revenus. La nouvelle salle Karma en est un élément important mais il reste beaucoup de champs sur lesquels nous devons avancer. J’aurais également aimé avancer plus vite sur le changement de siège social. Il devient urgent de proposer à nos salariés un outil digne de ce nom.

Les évolutions sociétales font que ce qui a été mis en place dans les années 80 n’est plus adapté aujourd’hui.

La gestion des falaises a été l’un des dossiers les plus sensibles du mandat, notamment avec le déconventionnement. Quel bilan tirez-vous de ce processus, et quels enseignements la fédération doit-elle en retenir pour l’avenir ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que notre objectif n’était pas le déconventionnement. Dénoncer les conventions passées avec les propriétaires de sites naturels d’escalade a été un outil pour remettre les choses dans l’ordre.  Nous sommes convaincus que ce n’est pas à la fédération, fusse-t-elle délégataire, d’assumer la garde des SNE, utilisés par de très nombreux grimpeurs non licenciés. Notre rôle est de faire le nécessaire pour que les falaises restent accessibles à toutes et tous et que leur équipement soit entretenu.

Les évolutions sociétales font que ce qui a été mis en place dans les années 80 n’est plus adapté aujourd’hui. Il n’est plus possible pour une fédération d’assumer la garde des SNE. Par contre, c’est bien notre rôle d’assurer la pérennité de l’accès à nos sites de pratique. Ce rôle nous l’avons assumé et continuons à le faire avec détermination, grâce entre autres à l’engagement de nos comités territoriaux.

La professionnalisation du haut niveau et des équipes de France avance vite : quels progrès considérez-vous comme décisifs, et quelles limites restent à dépasser ?

C’est une bonne chose que des athlètes de haut niveau, que ce soit en escalade ou en ski alpinisme, puissent avoir des revenus leur permettant de se consacrer pleinement à leur entrainement, qui est particulièrement exigeant. Certains athlètes bénéficient de soutiens leur permettant de se consacrer entièrement à leur sport. La fédération y contribue, bien-sûr, comme des partenaires individuels, ou encore l’armée des champions, et c’est une bonne chose. La médiatisation grandissante de nos sports et l’olympisme y contribuent. Il faut s’en réjouir. Mais cela reste pour l’instant insuffisant et de nombreux athlètes mériteraient d’être plus soutenus pour vivre plus sereinement leur vie d’athlète.

L’escalade attire aujourd’hui un vaste public urbain qui ne passe pas forcément par les clubs. La FFME doit-elle repenser sa manière de s’adresser à ces nouveaux pratiquants ?

On le sait, la FFME ne regroupe qu’une partie des pratiquants de nos activités. On constate un fort développement des activités indoor pour l’escalade et outdoor pour l’ensemble de nos activités. Nous travaillons effectivement à élargir la base des personnes qui se retrouvent dans l’apport de notre fédération dans le développement de nos sports, en pratique compétitive ou pas. C’est un chantier en cours.

Comment voyez-vous l’évolution des compétitions après son exposition olympique et la montée du spectacle médiatique ?

Les compétitions attirent de plus en plus et commencent à avoir une bonne couverture médiatique. C’est une bonne chose et cela bénéficie à l’ensemble de notre fédération. Pour attirer les spectateurs comme les médias, le format des compétitions est amené à évoluer pour que les compétitions soient passionnantes et compréhensibles y compris par les non pratiquants. Cela n’a pas toujours été le cas, surtout en bloc. Des formules de compétitions moins exigeantes et dans lesquelles de nombreuses personnes peuvent se retrouver et s’exprimer se développent, que ce soit dans les salles privées comme dans nos clubs. C’est une bonne chose.

Zélia Avezou lors des JO de Paris 2024 | © Planetgrimpe

Quelles sont les raisons essentielles qui vous amènent à démissionner maintenant ?

J’ai souhaité passer le flambeau aujourd’hui, car je suis convaincu que c’est le moment idéal pour que cela se fasse dans les meilleures conditions. La fédération est dans une belle dynamique de développement avec une vision d’avenir, l’équipe dirigeante travaille efficacement, l’équipe de collaborateurs et collaboratrices est pleinement opérationnelle, les directrices et directeurs sont mobilisés autour de notre nouveau Directeur technique national et de notre Directrice générale pour mettre en œuvre le plan stratégique que nous venons d’élaborer.

Je ne serai plus président après les prochains Jeux de Milan-Cortina 2026, mais je vais rester membre du Conseil d’administration. Je mettrai l’énergie nécessaire pour que cette transition soit des plus positive, en minimisant les effets de ce changement.

Quels sont les chantiers qui nécessitent absolument de la continuité dans les mois qui viennent ?

Tous les chantiers que nous venons d’ouvrir pour la mise en œuvre de notre plan stratégique. Ils sont nombreux, ambitieux, et la fédération a les moyens de les mettre en œuvre.

Selon vous, quelles qualités seront indispensables pour le/la prochain·e président·e ?

Sauf imprévu, Sandra Berger, actuelle Secrétaire générale, prendra la suite. Elle a annoncé lors du Conseil d’administration qu’elle se portera candidate. Je suis convaincu que l’ensemble du CA la soutiendra et proposera son élection à l’Assemblée générale.

Sandra est une femme dynamique, mobilisée et possédant une énergie étonnante. Elle a présidé avec beaucoup de résultats la ligue d’Ile de France et avec beaucoup d’engagement son rôle de Sécrétaire générale.

Quel message souhaitez-vous adresser aux clubs, bénévoles, salariés et athlètes pour la suite ?

Je ne pense pas avoir besoin de leur rappeler qu’ils peuvent compter sur l’appui de la fédération, de ses ligues et comités territoriaux pour les accompagner dans leurs projets, comme nous l’avons démontrer depuis plusieurs années.

Je suis convaincu que chacune et chacun se retrouve dans le slogan que nous avons porté lorsqu’on a présenté notre plan stratégique : « À chacun sa performance, à chacun son terrain de jeu ». Qu’on soit athlète de haut niveau, bénévole, pratiquant loisir en salle ou en extérieur, tout le monde peut s’y retrouver.

Souhaitez-vous rester impliqué d’une manière ou d’une autre dans le monde de l’escalade, ou est-ce une page qui se tourne ?

C’est bien évidemment une page qui se tourne. Comme je l’ai dit, je vais rester impliqué au sein du Conseil d’administration, mais je consacrerai moins de temps à la fédération.  Je vais profiter du temps ainsi dégagé pour reprendre plus régulièrement mes activités outdoor, en été comme en hiver.

Publié le : 12 décembre 2025 par Charles Loury

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