« Aucun résultat ne vaut ta santé » : Jenya Kazbekova brise le silence sur ses années de malnutrition

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À seulement 27 ans, Jenya Kazbekova, grimpeuse olympienne et vice-championne d’Europe de difficulté, a décidé de mettre des mots sur un sujet longtemps resté tabou dans le milieu de l’escalade : ses troubles alimentaires et les années de malnutrition qui ont marqué sa carrière.
Dans une longue lettre ouverte, l’Ukrainienne revient sur ce combat intérieur et délivre un message fort à toute la communauté.
Alors qu’elle s’apprête à accueillir son premier enfant et à faire une pause loin du circuit international, Kazbekova a choisi de revenir publiquement sur cette période sombre, dans l’espoir d’aider les grimpeurs – jeunes et moins jeunes – à ne pas tomber dans les mêmes travers.
Voir de jeunes grimpeurs souffrir me pousse à partager mon histoire, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. La pire partie de tout combat, c’est de se sentir isolé et incompris.

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Des années de régimes, de blessures et de doutes
Dans son témoignage, Jenya explique avoir, dès son adolescence, cru que perdre du poids était la clé pour atteindre le haut niveau. Inspirée par les standards physiques des grimpeurs d’élite des années 2000 et 2010, elle tombe dans un cycle sans fin de régimes stricts et de malnutrition.
Elle raconte notamment un moment marquant, en 2016 à Paris, où le simple chiffre sur une balance l’a « brisée » avant même le début d’une compétition :
Malgré mon apparence déjà très mince, je croyais encore devoir perdre plus. En voyant ce chiffre, j’ai abandonné mentalement avant même de grimper. La peur de l’échec, du jugement, de la déception, m’empêchait de me concentrer sur l’essentiel.

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Ces privations avaient un coût lourd : blessures à répétition, récupération interminable, fatigue constante.
Je vivais en mode survie. Je n’étais même plus capable de m’entraîner à mon plein potentiel. Toutes ces restrictions ne m’ont pas rendue meilleure, elles ont détruit ma santé physique et mentale.
Repenser son rapport au corps et au sport
Pour Kazbekova, la reconstruction a pris des années. Thérapie, apprentissage de la nutrition et soutien de proches l’ont aidée à se réconcilier avec son corps.
Lors des Jeux Olympiques de Paris, un an plus tôt, elle avoue s’être sentie « forte physiquement », même si les comparaisons restaient difficiles à encaisser.
Il n’existe pas de corps parfait. Nous avons tous des morphologies différentes, et l’apparence a très peu à voir avec ce dont nous sommes capables. Ne jouez pas au jeu des comparaisons, il ne vous apportera que de la souffrance.

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Pour l’Ukrainienne, le véritable moteur de la performance ne réside pas dans la légèreté, mais dans la force – physique, mentale et émotionnelle :
Ce qui te fait grimper, ce n’est pas ton poids. C’est ta détermination, ton expérience, ta concentration, ta préparation et le plaisir qui te pousse à continuer.
Un appel au changement
En partageant son histoire, Kazbekova espère sensibiliser le monde de l’escalade, des amateurs aux élites, à la nécessité de briser le tabou autour des troubles alimentaires et de mieux accompagner les athlètes.
Aucun résultat ne vaut votre santé. L’escalade doit rester une source de joie, pas de souffrance. Prenez soin de vous, même si le monde vous dit le contraire.
À travers ce témoignage, la grimpeuse ukrainienne lance un nouvel appel au changement pour un sport plus sain et bienveillant, où la performance ne se fait pas au détriment de l’humain.

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Un problème qui dépasse le cas Kazbekova
Si son histoire résonne autant, c’est parce qu’elle révèle un phénomène plus large. Depuis plusieurs années, des chercheurs et des instances sportives alertent sur le syndrome RED-S (Relative Energy Deficiency in Sport), un état de déficit énergétique chronique causé par des apports alimentaires insuffisants par rapport aux besoins.
Chez les grimpeurs, ce syndrome peut entraîner : une baisse des performances, une fragilité osseuse accrue (fractures de fatigue), des blessures à répétition, des perturbations hormonales (aménorrhée chez les femmes), et un impact profond sur la santé mentale.

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Ces dérives ne concernent pas que l’élite. L’image très « sèche » de certaines grimpeuses et certains grimpeurs pros sur les réseaux sociaux alimente, parfois inconsciemment, une pression chez de jeunes athlètes et amateurs, prêts à tout pour « ressembler » à leurs idoles, quitte à mettre leur corps en danger.
Le parcours de Jenya Kazbekova nous rappelle que l’escalade, même au plus haut niveau, ne devrait jamais devenir synonyme de souffrance. Derrière les podiums et les projecteurs, des athlètes se battent parfois contre des démons invisibles. En brisant le silence, l’Ukrainienne espère inspirer un changement : que chaque grimpeur, qu’il vise les Jeux ou le 6a de sa falaise locale, se souvienne qu’au bout du compte, la plus grande victoire reste celle sur soi-même – et jamais au détriment de sa santé.
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