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Alimentation et santé : ce que nous apprend le documentaire « Light »

Il y a un an, Planetgrimpe publiait mon article sur les troubles du comportement alimentaire en escalade dans lequel il était question de l’impact des remarques sur les grimpeurs et les grimpeuses à propos de leur corps et de leur rapport poids/puissance. A ce moment-là, j’étais loin de m’imaginer le déni et l’aveuglement généralisé face aux troubles alimentaires en escalade. Et puis il y a eu le documentaire Light de Caroline Treadway et les quelques témoignages de grimpeuses françaises qu’il a suscités, ce qui laisse à penser que la grimpe tricolore souffre des même maux.

Dans Light, le décorticage de la mécanique du trouble est minutieux. On y retrouve de grandes grimpeuses telles que Angie Payne et Emily Harrington qui détaillent sans fard la culture de la perte de poids – l’affutage – qui fait gagner les compétitions et surtout, le revers de la médaille.

Quand Payne revient sur sa période de gloire, elle raconte : « Je savais que j’étais déprimée, je savais que ce n’était pas viable à long terme mais je gagnais, je grimpais bien, c’est à ça que je me raccrochais. Mais maintenant, quand j’y repense, je ne voudrais pas y retourner même si on me payait pour le faire. »

Même constat pour Harrington, qui réalise qu’elle était trop jeune pour comprendre les enjeux de la perte de poids volontaire. Pour elle, la privation de nourriture était synonyme d’implication et de résultats, « c’est ce qu’il faut pour réussir », pensait-elle à l’époque. Et pourtant, l’année où elle a été vice-championne du monde fut aussi celle où elle s’est sentie le plus fatiguée, malheureuse et constamment préoccupée par la nourriture et la réussite.

Maegan Martin, l’une des rares athlètes a avoir pu garder une relation saine avec la nourriture (image extraite du documentaire)

Malheureusement, être constamment préoccupée ne laisse pas beaucoup d’espace pour savourer son titre et profiter de la vie.

Toutes évoquent l’impossibilité de modifier leur comportement puisque le succès était au rendez-vous et que toute la communauté de la grimpe encourageait cette pratique. Impossible même d’en parler entre-elles bien qu’amies proches. En effet, pour pouvoir se confier, on le constate dans toutes les situations taboues – et le trouble alimentaire en est une – encore faut-il trouver le bon interlocuteur, l’oreille attentive qui ne minimisera pas ou ne fera pas l’autruche. Sans oublier que le premier symptôme est le déni, la malnutrition modifiant le fonctionnement cérébral. On devient plus rigide, multipliant les règles strictes pour régir le quotidien, le sens de l’humour est aux abonnés absents contrairement au trouble qui accompagne chaque pensée et dont l’emprise est plus forte que l’amour ou la religion, selon le Dr Gaudiani, interviewée dans le film. Fort heureusement, tout cela cesse lorsque le cerveau retrouve une quantité de nutriments suffisante pour bien fonctionner.

Dépression, malnutrition, les mots employés sont forts car la culture de la restriction alimentaire d’affutage qui s’est imposée dans le milieu de la grimpe représente un réel danger pour les grimpeuses… autant que les grimpeurs. Difficiles à aborder chez les femmes, les troubles alimentaires le sont encore plus chez les hommes pour une question de stéréotype : révéler sa vulnérabilité, ça n’est pas très masculin.

Kai Lightner a frôlé la mort à force de restrictions (image extraite du documentaire)

Kai Lightner, multiple vainqueur du championnat US (10 titres en catégorie jeune et 2 titres en senior), en a fait les frais il y a quelques années. Seul homme à accepter de témoigner malgré la puissance du tabou, il explique qu’il a évité de justesse l’insuffisance hépatique du fait des restrictions alimentaires qu’il s’infligeait. Les commentateurs, les coaches, ses partenaires lui avaient tellement renvoyé qu’il était très grand – trop grand – pour le monde de l’escalade (1,73 m), il a voulu  compenser ce « handicap » et devenir aussi léger que ses coéquipiers, jusqu’à descendre à 43kg. A l’époque, cela n’a choqué personne mis à part sa mère, qui lui a littéralement sauvé la vie en l’emmenant de force chez le médecin.

Une fois de plus, on se rend compte à quel point l’entourage est crucial pour éviter la catastrophe mais à condition qu’il soit lui-même capable de détecter le mal-être et de soutenir le grimpeur. Treadway elle-même explique comment elle a parfois détourné le regard, refusant d’être confrontée au malaise suscité par la performance d’une personne malade. Maegan Martin raconte son étonnement de voir laisser concourir des athlètes manifestement sous-alimentés.

Angie Payne quant à elle témoigne de son regret de ne pas avoir su épauler son amie car elle aussi essayait « juste de survivre ».

Pour autant, malgré la noirceur du tableau, le film Light véhicule en définitive un message positif envers la communauté de la grimpe, en premier lieu en mettant en lumière cette problématique. En offrant l’exemple de championnes qui s’en sont sorties, en libérant la parole, le but de la réalisatrice est de provoquer une prise de conscience généralisée afin que les jeunes grimpeurs n’aient plus à faire face à des exemples malsains. Au contraire, toutes les personnes interviewées dans le documentaire souhaitent montrer la souffrance que génèrent les privations alimentaires alors que se sentir fort dans un corps sain est bien plus satisfaisant que se sentir léger.

Emily Harrington, désormais en paix avec la nourriture (image extraite du documentaire)

D’ailleurs, Emily Harrington, qui a fait la paix avec son corps et son alimentation et désormais plus âgée et moins légère que pendant sa période de compétitrice, grimpe toujours aussi fort – voire plus. En 2020, à 34 ans, elle est devenue la quatrième personne et première femme à grimper El Capitan par la voie Golden Gate (8a/b) en moins de 24h d’effort.

En France, ce sont Svana Bjarnason et Mathilde Becerra qui ont eu le courage de témoigner, la première sur Planetgrimpe et la seconde via un post sur les réseaux sociaux, encouragées par l’effet Light. Merci à elles, les jeunes grimpeurs et grimpeuses ont plus que jamais besoin d’exemples positifs.

En ligne sur YouTube depuis début février 2021, le documentaire Light est désormais disponible avec des sous-titres en français. Il ny a donc plus aucune raison de ne pas le diffuser largement.

Texte: Amandine Verchère


Publié le : 03 avril 2021 par Charles Loury

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