Adam Ondra nous raconte sa dernière expédition… 138m sous terre !
Adam Ondra a récemment libéré « Příklepový strop », une grande voie de cinq longueurs, nichée au coeur de Macocha, le plus grand trou béant d’Europe centrale. Alors que la vidéo de son ascension est sortie il y a peu, il revient sur ce périple inédit.
La République Tchèque (mon pays d’origine) est un pays où l’on pratique beaucoup l’escalade, du moins si l’on considère le grand nombre de voies, malgré le fait que toutes nos montagnes sont très basses et que même au sommet, la majorité des chaînes de montagnes ont très peu de roche. D’un autre côté, peu de régions du pays sont totalement plates et vous pouvez trouver un morceau de rocher presque partout sur lequel grimper. Mais nous manquons définitivement de grands murs verticaux. Il existe quelques tours de grès qui peuvent dépasser 80 mètres, mais c’est tout. Il y a également quelques falaises de calcaire, qui ont une hauteur similaire. Mais la plus grande, la plus haute et sûrement la plus abrupte des falaises se trouve dans un trou béant, 138 mètres sous terre. Et la partie de l’arche qui part du fond du trou n’avait encore jamais été escaladée en libre. Je devais remédier à cela.
La ligne « Příklepový strop » est probablement la pire de toutes.
C’est vraiment épique. Pour y accéder, vous devez traverser une incroyable grotte remplie de stalactites. Cela mène au fond de ce gouffre et directement sous ce toit massif. On a l’impression d’être dans un autre monde. Il est difficile d’imaginer un toit plus intimidant que celui-ci. Il semble impossible à grimper. Et la ligne « Příklepový strop » que je voulais tenter est probablement la pire de toutes, car elle est située sur la partie la plus déversante de tout le mur !
Pourquoi cette voie n’avait encore jamais été libérée ?
Sachez qu’il n’est pas nécessaire d’escalader la partie la plus déversante pour passer du fond du trou à la surface. Déjà en 1946, le mur juste à droite a été grimpé. C’était d’ailleurs une ascension audacieuse pour l’époque. L’arche principale a été grimpée pour la première fois dans les années 70, en escalade artificielle. Il a fallu attendre longtemps avant que l’on envisage de l’escalader en libre. À l’heure actuelle, il existe environ dix voies d’artif. Je me souviens que j’ai lu pour la première fois dans le magazine d’escalade tchèque Montana que l’on pouvait grimper au Macocha en artif, alors que j’avais 7 ou 8 ans, et je me rappelle m’être demandé pourquoi ils ne le faisaient pas en libre. Était-ce impossible ? En 2015, Dušan Janák a commencé à essayer différentes lignes dans le toit et a pensé que « Příklepový strop » pourrait être la plus « facile » pour passer en libre. Deux ans plus tard, en 2017, avec Jan Straka, ils ont pu faire tous les mouvements : le premier pas vers un enchaînement en libre de ce monstre venait d’être fait.
L’escalade à Macocha n’est pas facile. La zone est extrêmement protégée pour un certain nombre de raisons, en particulier parce que plusieurs types de plantes endémiques poussent au fond de la grotte et sur le mur opposé. En plus de cela, c’est une destination touristique très attractive et vous grimpez directement au-dessus du circuit des visiteurs. Or, il existe un accord selon lequel nous pouvons choisir cinq jours par an, en décembre, et un nombre limité de grimpeurs obtiennent la permission de grimper ici.
Un autre problème majeur est l’humidité. En été, il n’est pas possible de grimper car l’air froid de l’intérieur de la grotte rencontre l’air chaud de l’extérieur, et il se condense sur la roche. Il faut des nuits glaciales pour que la grotte s’assèche. En gros, plus il fait froid, plus c’est sec, mais en même temps, grimper avec -10°C n’est pas ce que l’on souhaite, encore moins lorsque l’on est pendu au relais en train d’assurer. Mais s’il fait plus de 0°C, il y a de fortes chances que la paroi soit humide…
Mon objectif était d’enchaîner « Příklepový strop » à vue
J’ai toujours voulu grimper à Macocha, mais je n’ai jamais vraiment eu le temps de m’y engager. Mon objectif était d’essayer de l’enchaîner à vue, c’est pourquoi j’ai élaboré le plan suivant. La première longueur de cette grande voie doit être grimpée après 15 heures, à cause des touristes en bas et des chutes de pierres potentielles. J’ai donc décidé de grimper la première longueur de 35 mètres le premier jour, de laisser la corde fixe et de grimper le reste de la voie le lendemain, en profitant de la lumière du jour, surtout pour la deuxième longueur. Les protections sont pour le moins discutable dans certains endroits. Il y a bien des spits de 1986, mais ils ne font que 2 centimètres de profondeur et avec l’humidité extrême, ils sont fortement rouillés. Certaines sections sont assez aériennes tant les points sont éloignés mais il est possible de placer des coinceurs.
Je suis parti pour mon essai à vue avec 20 dégaines et environ 10 coinceurs sur mon baudrier. Pas exactement le même poids que celui auquel je suis habitué ! Il était 16 heures, il faisait totalement noir mais j’avais de très bonnes lumières au sol. J’ai réussi à franchir le début de la première longueur, malgré un début effrayant où une chute potentielle signifiait la rupture d’une cheville et un atterrissage sur la corniche de départ. Vers la fin de la longueur, le rocher est devenu plus humide et sale. J’étais coincé. Normalement, je n’hésite jamais à tenter quelque chose, je préfère toujours tenter une méthode en espérant que ça passe, mais là, je suis resté bloqué pendant de longues minutes parce que je n’avais littéralement aucune idée de ce qu’il fallait faire. À la fin, j’étais proche, mais je n’ai pas réussi. Je suis tombé et j’ai finalement réalisé la première longueur au deuxième essai. Même si je n’ai pas réussi à vue la première longueur, je me suis tenu au plan et je suis revenu le lendemain, pour profiter de la lumière du jour.
Et c’est une grande différence avec l’aventure et la souffrance que tous les grimpeurs en artif ont vécue sur ce mur : rester accroché pendant trois jours dans des températures glaciales, dans ce toit humide. Au lieu de cela, j’ai dormi dans mon lit. Je me suis échauffé sur mon mur à la maison le lendemain, j’ai conduit 30 minutes, je me suis échauffé à nouveau dans la falaise côté, essayant de toujours rester en mouvement pour ne pas avoir froid alors que la température avoisinait les -1°C. Puis, j’ai commencé à grimper vers 10h30, et malgré trois essais dans la deuxième longueur, à 14h nous étions au sommet. La voie est superbe, avec par endroits un rocher vraiment solide et des mouvements étonnants.
Elle se décompose comme suit : 1ère longueur 8b+ 35m (quasiment que du toit), 2ème longueur 8b+ 35m (toujours presque que du toit), 3ème longueur 8a+ 20m (bombé avec sortie verticale), 4ème longueur 7a 35m, 5ème longueur 6c 35m.