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Restrictions sanitaires : les enfants grimpeurs en souffrance

- Le 08 février 2021 -

La fermeture des salles de grimpe fait couler beaucoup d’encre et user beaucoup de salive. Reflet du monde actuel, les avis sont évidemment polarisés, au point que le dialogue devient parfois impossible entre des personnes qui pourtant partagent la même passion. Qui soulève le problème de l’impossibilité de pratiquer l’escalade en milieu couvert se trouve systématiquement face à un contradicteur qui rétorque « Oui mais l’escalade c’est avant tout une pratique extérieure ! » Et clôt le débat.

Cependant, pour bien comprendre la situation, il faut d’abord élargir sa vision du grimpeur du XXIe siècle. N’en déplaise aux puristes, l’escalade en tant que sport de masse est devenue aussi un sport d’intérieur. Le développement des salles l’a rendue accessible dans toutes les régions de France, y compris les plus plates. On peut aujourd’hui être bon grimpeur et habiter en Vendée.

L’escalade s’est aussi démocratisée. On peut aujourd’hui devenir bon grimpeur en ayant des parents qui ne jurent que par la plage l’été et la raclette l’hiver. Tout cela est rendu possible par la multitude de clubs présents sur tout le territoire, les bénévoles des petits clubs et les salariés des clubs moins petits. Donc l’escalade avant tout une pratique extérieure ? Non. Pas pour tout le monde. Pas en 2021. Et à l’instar des adultes adeptes de la grimpe, les restrictions actuelles ont des conséquences bien réelles sur les enfants grimpeurs.

Tous les grimpeurs n’ont pas la chance de grandir au pied d’une falaise ni d’avoir des parents eux-mêmes grimpeurs. Les restrictions sanitaires ont donc signé l’arrêt pur et simple du sport pour certains enfants, comme en témoigne Alexandre*, un petit citadin de 10 ans. « Normalement entre l’escalade et l’escrime je fais du sport tous les jours mais là, plus rien. » Entre nervosité accrue et difficultés d’endormissements, son père pense qu’il n’est pas assez fatigué, ou plutôt uniquement nerveusement par sa journée d’école. Selon lui, l’absence de soupape de décompression qu’offre le sport représente un manque important dans son équilibre. « De plus, ajoute-t-il, les séances de sport à l’école ont elles aussi été stoppées, les enfants ne bougent pas de la journée si ce n’est aux récréations et lors du trajet en trottinette« . Effectivement, la recommandation d’une heure d’activité physique par jour pour les enfants semble être la grande oubliée de la pandémie.

Même constat pour le père de Léo* et Lisa*, deux jeunes Picards de 11 et 14 ans. « Nous sommes à 3h de route de Fontainebleau et les quelques sites situés en Belgique sont inaccessibles. Sans parler du couvre-feu qui rend difficile la sortie à la journée ! Je suis très en colère. Nous avons l’habitude de grimper en famille, les enfants font 3 à 4 séances par semaine depuis des années et là je constate de la lassitude et même de la résignation »

Résignation, tristesse, fatigue, dégoût, absence de motivation et même dépression, les mots choisis sont forts dans les dizaines et dizaines de réponses recueillies grâce au questionnaire que nous avons diffusé via Facebook et dans deux clubs du Rhône et de Saône-et-Loire. Le constat est inquiétant : environ 23 % des enfants ont perdu leur motivation pour le sport et plus de 41% ont remplacé leur temps de sport par une activité sédentaire (dessin, bricolage, jeux vidéos, télévision, etc), soit au total 64 % – presque deux enfants sur trois – qui ne bougent plus ou pas assez.

Même si la tendance sur les réseaux sociaux est de s’exprimer surtout quand ça ne va pas, la quantité de réponses obtenues en un temps court (moins d’une semaine) permet de penser que les conséquences de l’interdiction du sport en milieu couvert est un sujet de préoccupation très important.

À la question « Constatez-vous un changement de comportement chez votre enfant depuis le dernier confinement et notamment depuis l’interdiction des sports en milieu couvert ? », seuls 19% des répondants n’ont pas vu de changement notable chez leur enfant. Dans leur grande majorité, les parents qui ont répondu au questionnaire l’ont fait car ils constatent chez leur enfant une nervosité accrue et de la tristesse, ainsi que des difficultés à s’endormir et de la fatigue.

La mère d’Axelle*, 11 ans, confirme : « Nous habitons dans la Vienne (Nouvelle Aquitaine), il existe bien une falaise mais je ne suis pas grimpeuse donc je ne peux pas l’accompagner. Elle ressent de l’injustice et se chamaille beaucoup avec sa soeur qui a le droit de pratiquer son sport (le foot), sans parler des histoires de cour de récréation. Elle passe beaucoup de temps devant les écrans, n’a plus la possibilité de se changer les idées et est coupée de ses amies de l’escalade. Si seulement l’escalade pouvait recommencer ! »

Pour 76% des parents interrogés, il est difficile de ne plus voir leurs enfants s’épanouir dans son sport et avec ses amis. Leurs enfants ont globalement entre 7 et 12 ans (63% des répondants), l’âge où les bases de la socialisation sont bien acquises mais où les amitiés se consolident, l’âge où on rigole parce que le copain a atterri dans le panier de corde en redescendant de sa voie, l’âge où on encourage la copine à se battre dans deux mouv’ qui restent avant le relais et où on admire celle qui tente un jeté engagé dans le gros dévers de la mort…

Mais actuellement, rien de ces récits épiques de retour de séance. A la place, les parents ne peuvent que constater que leur enfant « manque de relations sociales », « reste dans sa chambre à ne rien faire », « manque d’évacuation mentale » et qu’il est « difficile d’absorber son stress ».  Certains confient qu’ils vivent eux aussi très mal de voir leur enfant « pleurer de tristesse et de frustration » et passer à côté d’une activité qui lui permettait d’acquérir « un peu de confiance soi et de nouvelles aptitudes ».

L’inquiétude porte aussi sur la crainte d’un impact sur la santé physique de leur enfant. Car l’enfance, c’est aussi le moment où on prend des habitudes d’hygiène de vie qu’il est très difficile de modifier par la suite. L’inquiétude semble généralisée car elle est aussi exprimée par les parents d’enfants qui pratiquent un sport en plus de l’escalade.

Les effets du sport sur la santé sont pourtant bien connus, entre réduction du stress, diminution du risque de maladie cardiovasculaire et d’obésité, les bénéfices sont nombreux, valables à l’instant T comme pour le futur. Selon une étude anglaise publiée en mars 2018 dans la revue Aging cell, la pratique régulière d’un sport permet aussi de conserver un système immunitaire performant. Interrogés par le magazine Sciences et Avenir, les auteurs sont formels : « nos résultats apportent maintenant des preuves solides pour encourager les gens à faire de l’exercice régulièrement tout au long de leur vie »

La sédentarité à long terme, c’est exactement ce que craint la mère de Maëlis*, 8 ans et demi, qui pratique normalement l’escalade et la gymnastique dans la région de Clermont-Ferrand. Elle aussi est en colère : « Avec des masques et du gel, on peut toujours s’adapter, on l’a fait tant que c’était permis« . Sa fille est passée « de six heures de sport par semaine à rien, alors qu’elle a un fort besoin de bouger. »

Est-il nécessaire de rappeler que la sédentarité reste le fléau du siècle ? Selon la Fédération Française de Cardiologie (FFC), chaque année la sédentarité tue plus que le tabac. Et selon les épidémiologistes de l’Université de Cambridge (GB), la sédentarité serait responsable d’environ 670 000 morts par an en Europe, ce qui en ferait la première cause de mortalité dite évitable.

Mais le restera-t-elle – évitable – encore longtemps si rien n’est fait pour encourager les enfants à bouger ?
Il ne s’agit pas seulement de fustiger les jeux vidéos ou de juger les parents qui laissent leurs enfants regarder la télé pendant des heures. Il s’agit plutôt d’un problème de fond, de considération et de valeur qu’on donne à l’activité physique.

Parmi les personnes interrogées, 43% ont répondu que l’école de leur enfant avait purement et simplement cessé toute activité sportive en classe, pourtant obligatoire dans le programme scolaire. A la place, double dose de français, de maths, de dessin ou de théâtre. Certes les enfants ont des lacunes qui se sont accentuées à cause du premier confinement, certes les activités artistiques sont importantes, indispensables même.

Mais ce faisant, entre interdiction de pratiquer en gymnase et dévalorisation de la pratique scolaire, n’est-on pas en train d’inculquer aux enfants l’idée que l’activité physique n’est pas essentielle ?

Nous sommes capables d’écouter et de suivre les recommandations des scientifiques pour nous protéger du coronavirus. Ne pourrions-nous pas faire de même lorsqu’ils s’accordent pour dire que l’activité physique, par ses bienfaits sur le système immunitaire, le métabolisme et la santé psychique, est capitale pour l’organisme humain ?

Texte: Amandine Verchère

Un grand merci à toutes les personnes qui ont répondu au questionnaire et aux nombreux parents de grimpeurs qui ont laissé leurs coordonnées pour témoigner.

Publié le : 08 février 2021 par Charles Loury

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