Interview – Daniel Du Lac revient en détails sur la saison internationale 2015…
Salut Daniel ! La saison de compétition vient de se terminer, et c’est l’occasion pour nous de faire un bilan de cette année avec toi…On commence par les jeunes… Peux-tu nous faire un bilan des championnats du monde à Arco ?
Bonjour à Planetgrimpe et tous ses lecteurs.
Arco a été une magnifique compétition avec 750 athlètes présents, un public de connaisseur et une chaleureuse convivialité qui fut propice à la performance. Côté Français, la communauté des grimpeurs peut-être fière de ses champions :
En difficulté, Julia Chanourdie s’est imposée à la 3ème place avec autorité et maturité. Hugo Parmentier, qui avait l’or en ligne de mire nous prouve encore qu’il fait partie des meilleurs et des plus polyvalents: en diff comme en bloc ! Il gagne deux fois le bronze! Hugo a joué le classement combiné et accroche à son cou une troisième médaille en argent. Mais c’est Sam Avezou qui a été notre grand champion avec une magnifique médaille d’or.
En vitesse, en catégorie Cadette, Elma Fleuret embrase le clan Français, offrant une première marseillaise au bleu, en décrochant le titre mondial avec un superbe panache.
Du côté du Bloc : Quelques minutes après la belle 3ème place de Hugo Parmentier, on a vu un Nicolas Pelorson magistral, qui prends une très belle seconde place.
Il y avait à Arco une grande densité avec une cinquantaine de nations présente, toutes de mieux en mieux préparées, et les finales ont été très disputées.
Les nations qui ont marqué les esprits par le réalisme de leurs grimpeurs en décrochant de nombreuses médailles sont : le Japon, l’Italie, les USA et la France. Sans pour autant qu’une d’entre elles ne se détachent vraiment. On peut noter que l’Autriche qui fait partie des nations fortes, a été moins performante que d’autres années.
Côté Français, au-delà des médailles, nous avons marqué ce championnat du monde en étant très présents dans toutes les phases de la compétition grâce à une cohésion et une solidarité.
On peut saluer les performances prometteuses de tous les jeunes finalistes qui ont aussi réjouit l’atmosphère en restant combatif jusqu’au bout :
En vitesse, Aurélia Sarisson 4ème en junior, Lucile Saurel et Jennifer Bonnet décrochent respectivement les 4ème et 5ème place en minime.
En Bloc , Jules Nicouleau et Charlotte André se sont arrachés pour la 5ème place en cadets, alors que Margaux Pucheux se hisse à la 4ème place.
En difficulté, Salomé Romain s’octroie la 5ème place, Léo Ferrera prend une 4ème place, et Pierre Le Cerf se place en 8ème position.
C’est avec beaucoup d’enthousiasme que les grimpeurs et les supporters Français ont célébré leurs champions, en entonnant en cœur les Marseillaises malgré une pluie battante au moment des podiums de difficulté et de vitesse.
Je suis personnellement heureux de voir les espoirs Français cultiver avec fairplay, un esprit positif et conquérant toute discipline confondue. Ce dynamisme est très précieux dans la cohésion du groupe car chacun puise à sa mesure une énergie insouciante dans la force de l’équipe. Cet esprit est un des ingrédients qui favorise la performance individuelle parce qu’elle est une source de confiance.
Est-ce que les objectifs fixés en début de saison ont été remplis ?
Oui et non !
L’objectif chez les jeunes est de leur donner goût à l’aventure du haut niveau tout en restant très exigeant pour ne jamais se contenter de peu ! A travers le chemin parcouru, souvent entrecoupé d’embûche, et toujours spécifique à chaque individu, l’idée est de leur apprendre à gagner, en structurant les frustrations et les réussites pour être capable de maîtriser le plus loin possible sa performance dans un projet à long terme.
Donc oui, nous sommes satisfaits parce que les jeunes Français ont mis tout leur cœur pour se rapprocher des places d’honneur en défendant notre drapeau bleu, blanc, rouge. Fort de leur ouverture d’esprit, de leur capacité à communiquer, de leur sympathie et à travers leurs performances, l’équipe de France à charmé tout le monde et les tee-shirt comme les vestes de notre sponsors Addidas eurent beaucoup de succès dans les échanges traditionnels de « maillot » en fin de saison. Dans cette belle camaraderie, l’esprit sportif a régné et une vague bleue a déferlé sur ce championnat du monde. Ce fut personnellement un vrai bonheur de pouvoir partager avec eux et leur supporters (les parents venus nombreux) ces instants magiques qu’ils nous ont offert.
Cependant, nos Français savaient pourquoi ils venaient et tous sont restés concentrés et très pros jusqu’au bout, intransigeant avec eux-mêmes tant qu’ils étaient en course. Des contreperformances et fautes de grimpe fatales ont rappelé le côté dramatique de notre sport, faisant couler quelques larmes. Elles furent vite séchées pour soutenir nos finalistes avec un grand enthousiasme.
Sur la feuille de résultats, un jeune sur deux présents à Arco atteint la phase finale de sa compétition. Et un quart d’entre eux gagne sa place sur le podium tant convoité.
Je suis donc aussi satisfait par l’exigence de nos critères qui oblige chaque sportif à élever son niveau pour ne pas venir en touriste sur un championnat. Cela a trop souvent été le cas sur d’autres épreuves les années précédentes. Nous devons au niveau des championnats du monde ou des championnats continentaux honorer la confiance de tous les licenciés de la FFME dont une petite partie de leur licence permet à nos champions de venir tutoyer la réussite. Les stages et coupes d’Europe servent à nous préparer pour rentrer avec fierté en s’étant senti utile sur un championnat.
En difficulté, nous avons franchi une étape en retrouvant la confiance perdue dans les écueils du passé. Il faut en effet revenir cinq ans en arrière pour retrouver une victoire !
Je suis aussi satisfait de voir à quel point nous avons un grand nombre de jeunes capables de s’illustrer aux avant-postes. Notamment chez les Cadets en bloc comme en difficulté et chez les minimes garçons en difficulté. C’est une très bonne nouvelle pour l’avenir car il y a là une génération de jeunes garçons décomplexés où chacun a son style de grimpe bien à lui !
Ils sont prêts à s’entraîner dur pour vivre la magie des compétitions. Une magie qui décuple les satisfactions procurées lorsque l’on se rapproche des places d’honneur.
En revanche, je sais que nous pouvons faire beaucoup mieux.
En Equipe de France de difficulté, l’objectif ultime de la FFME est de placer un grimpeur Français sur les podiums de chaque catégorie ! Soit deux à trois jeunes en phase finale. Cela veut dire que nous devons associer nos efforts avec les entraîneurs de club. Ce sont eux les véritables entraîneurs dont je salue la qualité de leur travail. Ils sont quotidiennement à l’entraînement avec les graines de champions, et pour être meilleurs, il me semble primordial de conjuguer nos compétences.
Les entraîneurs nationaux, nous sommes ouverts à plus d’échanges, pour pouvoir mieux orchestrer la préparation, et aborder les échéances.
La principale insatisfaction vient de nos manques de résultat chez les minimes fille et cadettes : en 2015, en difficulté aucune d’entre elles n’ont été retenues dans nos critères pour Arco ! Il y a eu pourtant quatre épreuves et de nombreux stages où nous nous sommes entraînés pour maîtriser sa performance et exprimer son niveau à la hauteur de ce qui nous semble nécessaire pour réussir en championnat. En difficulté, nous estimons en effet qu’il faut être capable de rentrer dans les six premières d’une épreuve Européenne pour prétendre atteindre la phase finale d’un championnat. A ce sujet, je ne crois pas qu’il soit prioritaire de remettre en cause les critères actuels qui ont bien marché dans les autres catégories. Il faut plutôt se poser la question sur ce que l’on ne réussi pas à leur transmettre pour que nos Françaises sachent s’imposer à l’international comme elle sont capable de le faire en coupe de France. Nous avons donc beaucoup à faire pour accompagner nos jeunes grimpeuses, et cultiver leurs ambitions dans la confiance. Comme lors du championnat du monde de Valence en 2009 où les filles étaient aux avant-postes dans toutes les trois catégories en ramenant une moisson de 5 médailles (or, argent et bronze) sur 9 possibles ! Gautier Supper avait complété cette belle razzia féminine avec une médaille d’argent.
Quelles nouveautés apportent l’arrivée de Cécile Avezou, responsable de l’équipe de France jeunes ?
Cécile apporte la fraîcheur et la féminité d’une femme qui a été une grande championne. En effet, elle a su provoquer sa propre réussite, et elle apporte indéniablement un supplément de confiance à l’équipe ; parce qu’en effet, elle transmet des messages constructifs et structurant avec bienveillance et écoutes. Elle n’en n’est pas moins exigeante, au contraire.
Elle a aussi une très bonne connaissance du système fédéral et elle est appréciée des personnes compétentes, ce qui est un atout pour avancer efficacement.
A travers ses missions sur les poussins et benjamins elle a une vision qui prend racine très tôt dans l’accompagnement des enfants. Elle anticipe bien le calendrier, et structure les stages avec synthèse et efficacité pour tenir les exigences administratives. Sachant déléguer et travailler en équipe, elle me stimule et m’offre le champ libre dans les domaines qui me sont plus destinés.
J’ai été très content de notre collaboration qui me renforce dans les grandes lignes que nous mettons en place pour préparer et accompagner l’équipe sur les compétitions internationales.
Et toi quel est ton rôle exactement au sein de cette équipe ?
Pour compléter Cécile dont je viens de faire l’éloge de ses qualités, je m’occupe des ouvertures de stages et de l’organisation de certains déplacements. En contact régulier avec nos meilleurs espoirs, je suis une partie des jeunes en collaborant avec les entraîneurs ou parents concernés. Assez à l’aise pour les briefings ou débriefings je m’exécute souvent dans ce rôle. J’essaie d’être à l’écoute de tout le monde pour avoir plus de discernement et de précision dans la façon dont on va accompagner tel ou tel jeune. Lève-tôt, je suis toujours partant pour un petit réveil sportif avec ceux qui le souhaitent. Aussi couche-tard, je joue les pères fouettards pour l’extinction des feux car si dynamique il y a, les jeunes sont aussi très excités à chaque retrouvaille! Notre rôle est de leur apprendre à écrêter les pics pour ne pas perdre son influx ou son ambition. Je suis aussi très vigilant sur l’utilisation des nouvelles technologies qui souvent, hélas, sont des écrans qui se dressent entre soi et la réalité de leurs objectifs.
Comment suis-tu les jeunes tout au long de l’année ? Quelles relations as-tu avec leurs entraîneurs perso ?
J’essaie d’être le plus possible attentif à leurs remarques ou à leurs requêtes. Ils ont une meilleure connaissance que moi de leurs poulains. Or pour leur apporter un coaching de qualité, plus je connais chaque jeune plus je vais avoir de leviers pour les coacher sur les stages et les compétitions. Chaque entraîneur à son fonctionnement, ses méthodes, comme ses secrets aussi. Alors il faut du temps pour tisser des liens. La plupart d’entre eux sont très ouverts et les discussions sont faciles. L’objectif est de travailler ensemble avec le plus de cohérence possible. Les jeunes sont sensibles et d’autant plus en proie au doute puisqu’ils se confrontent à ce qu’il y a de plus dur : la compétition de haut niveau. C’est d’autant plus dur pour les grimpeurs qui élèvent l’esprit autant que le corps pour réussir. Nous avons affaire à des jeunes qui sont brillants, presque intellos! Ils sont donc plus sensibles à certains paradoxes afin de trouver leur place, leur voie… Par exemple : comment résoudre l’intégrale qui paradoxalement leur demande de s’affirmer pour réussir mais en sachant rester humble ?
Il faut aussi se rendre compte que leur horizon est souvent très proche, et de toute façon limité par le pessimisme qui engourdit la France. Il est d’autant plus important d’être en phase avec les réalités existentielles de chaque jeune. Donc plus nous avons d’éléments pour connaître les jeunes, plus nous pouvons être performants. C’est pour cela que j’essaie d’être le plus disponible discuter avec les parents et les entraîneurs perso.
Quelle est la recette de la réussite d’un groupe France en compétition internationale ?
La réussite d’un groupe France passe d’abord par des performances individuelles. Le groupe peut constituer selon le moment: un refuge, un tremplin, une ressource, une soupape, un soutien, … des liens se tissent, des amitiés naissent, …
Nous sommes sensibles avec Cécile, mais aussi avec Corentin Le Goff, à l’idée de former une équipe, un groupe, une tribu France.
Mais pour que ce groupe soit une force, nous veillons néanmoins à ce qu’il ne soit pas non plus trop énergivore (plutôt en jeune) ou étouffant (plutôt en seniors).
Les valeurs de respects et de tolérance ne sont donc pas vaines.
Pour ma part, je crois beaucoup dans l’attitude positive.
Pour la renforcer, et transmettre un esprit ambitieux, pour stimuler la réussite, je prône la qualité des relations humaines basées sur des valeurs basiques : politesse, respect, adaptation, tolérance, bonne humeur, jeux, communication, renforcement positif, responsabilisation de chacun, etc.
La réussite d’un groupe France, c’est d’abord la gestion des relations humaines ! Je vous surprends peut-être avec ce discours loin des entraînements physiques. Mais la réalité est là, une dispute, une méprise, une mésentente peuvent polluer les esprits ! Alors pour bien coacher, nous devons rester impartial tout en ayant assez de complicité avec chacun afin de les connaître pour les aider quand il y a un problème.
Pas mal de monde se demande toujours pourquoi les quotas ne sont pas remplis pour les championnats du monde jeunes, tu peux nous éclaircir à ce sujet ?
Je comprends qu’on puisse se poser cette question. Surtout chez les jeunes où l’on doit leur apprendre à gagner, pour bien sûr construire et nourrir des ambitions à plus long terme.
Sauf que nous parlons de haut niveau et que nous souhaitons accompagner sur le championnat du monde jeune uniquement des jeunes capables de rentrer en phase finale de la compétition.
Le haut niveau est intransigeant et comme je disais plus tôt : on ne peut pas se satisfaire de peu, ni d’à peu prêt !
Donc on veut sélectionner des jeunes qui soient non seulement performants mais qui en plus ont une motivation sans faille.
On veut des jeunes qui, le moment voulu, savent décocher leur meilleure flèche. C’est pour cela que nos critères peuvent parfois sembler injustes! Mais c’est le sport de haut niveau, on ne peut pas avoir de critères de complaisance.
Le championnat de monde arrive en fin de saison, en fonctions des années, nous établissons des critères qui leur permettent de prouver leur talent, en élevant leur niveau pour accéder aux phases finales d’une compétition européenne.
Ce qui est certain, c’est qu’il faut réussir un bon championnat de France.
En jeune nous essayons d’avoir aussi un, où plusieurs critères pour se rattraper si on a eu une contreperformance sur le chpt de France. On peut tomber malade aussi, être blessé, …, mais cela fait partie des choses qu’un champion doit apprendre : savoir gérer une blessure, une frustration, pour rebondir, et, y voir une opportunité pour mieux préparer la suite.
Nos critères 2016 ne sont pas encore totalement prêts, et je ne peux les dévoiler au moment où je réponds à cette interview.
Il faut se rendre compte aussi : lorsque l’on se déplace à 18-20 mineurs, 4-6 juniors qui peuvent être majeurs, plus, 2 coachs, 1 kiné et parfois troisième coach, c’est une logistique assez lourde. Et nous sommes forcément moins performant dans le coaching individuel pour les qualifications.
Il est donc nécessaire que les jeunes soient les plus autonomes possible. D’où l’importance du travail des entraîneurs perso : certains jeunes ont, dès minime, des fiches techniques : pour la lecture, l’échauffement, ou autre, afin de les aider dans des routines, des automatismes qui sont importants à intégrer.
Nos stages préparatoires ont cet objectif également, pour apprendre ces automatismes individuels tout en apprenant à se connaître pour fonctionner en groupe.
Avec Cécile, nous proposons des stages (non obligatoire), afin de travailler tous les points cruciaux des compétitions internationales, tout en s’entraînant dans différents aspects: plus technique ou physique.
Quels sont les grands projets de l’équipe de France jeunes pour la prochaine saison ?
Nous préparons un stage avec les Italiens et les Japonnais à Turin début Janvier. Mais ce stage ne concernera hélas que ceux qui se sont illustrés en 2015 en bloc, vitesse et difficulté.
Le projet principal est de préparer le championnat du monde jeune qui aura lieu en Chine début Novembre.
Peut-on s’attendre à des changements dans l’organisation / la préparation de l’équipe de France jeune ?
Nous discutons actuellement pour la mise en place de stages uniquement féminins. Nous pensons avec Cécile que nous devons considérer spécifiquement les motivations et personnalités des grimpeuses pour progresser dans l’ambition, la gestion du stress, l’affirmation de soi, le physique, etc.
C’est une réponse pour mobiliser nos championnes afin de se structurer entre filles pour stimuler la réussite sur les compétitions Européenne.
Par ailleurs, nous discutons actuellement avec les entraîneurs de chaque équipe et chaque pôle pour opposer nos points de vues et commencer à se préparer au combiné qui serait visiblement l’épreuve retenue pour les JO de TOKYO.
A Arco, nous avons vu de nombreuses Nations qui préparent inscrivent systématiquement leurs grimpeurs dans les trois disciplines : USA, Allemagne, Equateur, Corée, Japon, Autriche, etc.
Pour ma part, ayant moi-même pratiqué les trois disciplines (13ème en coupe du monde de diff, et 15ème au championnat du monde du zénith en 97) j’ai toujours prôné la polyvalence.
Je sais qu’en France nombreux sont les entraîneurs qui voient en la vitesse une sous discipline. La vitesse serait trop stéréotypée et éloignée de l’essence de notre « noble » discipline, le bloc pour la beauté du geste, et la difficulté pour l’esthétisme.
Il nous faut absolument sortir de ces carcans hérités des années 80. Les joies et plaisirs qu’offre l’escalade sont pluriels. Et il est temps de le comprendre.
Pour s’en persuader, il suffit de regarder les « fast climbers » made in USA qui ont aussi prouvé qu’ils étaient d’excellents compétiteurs et qu’ils sont tout aussi bon grimpeur ! Pourtant, ils aiment la grimpe rapide : Hans Florine, Dan Osman, Tommy Caldwell, Alex Hubert, Alex Honold, et bien d’autres…
L’escalade est un jeu à multiples facettes associées, à ses styles et règles éthiques propres qui vont évoluer à chaque génération. Pratiquer la vitesse est une de ces facettes ! Pour faire un raccourci rapide, ceux qui s’y investiront, vont entrainer des qualités de coordinations et de puissance dans les jambes qui seront bénéfiques pour les autres disciplines. Cela occasionne aussi de nombreux moments de franche rigolade.
De plus en plus de nations forment des jeunes qui excellent en escalade et la concurrence est de plus en plus rude, comment s’adapte-t-on en France ?
En France, nous sommes un grand pays, avec beaucoup de club éparpillés sur tout le territoire. C’est une limite pour se retrouver sur des stages car les déplacements sont contraignants ! Imaginez pour nos Français des DOM et TOM.
Nous avons mis en place les Pôles France :
Aix-en-Provence, CREPS, pour la difficulté et le bloc, avec Paul Dewilde. Le recrutement est plutôt local avec des espoirs (15-20ans) du quart sud-est de la France.
Voiron, TSF, pour la difficulté et la vitesse, avec Marianne Berger et Sylvain Chapelle. Le recrutement est national, et la FFME y accueille des jeunes et des seniors.
Fontainebleau, salle Karma FFME, pour le Bloc, avec Rémy Samyn. Le recrutement est national pour les seniors.
La FFME a mis en place les structures associées et les clubs pilotes, qui ont une implication ou une vocation à former les compétiteurs vers le haut niveau.
Je pense que nous progressons beaucoup lorsque l’on organise des entraînements qui sont stimulés par le challenge. Je suggère aux présidents et entraîneurs de club de faire des entraînements communs avec les meilleurs jeunes des clubs voisins une fois par semaine.
Pour ma part, j’ai le projet de proposer aux clubs structures associées, clubs pilotes, ou centres régionaux d’escalade de venir prêter main forte sur des stages qu’ils organisent. Le but sera double : rassembler les meilleurs grimpeurs locaux et rencontrer les entraîneurs présents. S’entraîner ensemble aura pour but de motiver tout le monde, de se préparer aux échéances futures, de reconnaître la qualité de ce qui est mis en place localement, et, de confronter nos idées et principes d’entraînement. J’espère pouvoir passer dans 6 à 10 structures une à deux fois par an selon le nombre de grimpeurs de talents, et selon les besoins. Je dois valider cela avec Damien You (directeur des équipes de France) et avec Pierre-Henri Paillasson (DTN).
J’imagine que l’objectif est d’amener toujours plus de jeunes vers le haut niveau, mais comment leur donner cette envie du haut niveau ?
De tout temps, l’homme cherche à s’élever, à devenir plus performant, avoir pour ambition une carrière à haut niveau est une chose très difficile.
Rien ne sert de pousser dans le haut niveau des jeunes qui n’ont pas les qualités pour s’y émanciper. L’envie de faire du sport de haut niveau au point d’avoir des ambitions très grandes est avant tout une question personnelle. Il s’agit de détecter et stimuler les qualités qui sont nécessaires en aidant les jeunes à se structurer pour s’approprier leur propre projet et le mener à bien.
Voici six clefs qui résument les principes sur lesquels je me base pour coacher les sportifs de haut niveau dont je m’occupe. Bien sûr comme je l’ai dit plus tôt, je m’attache beaucoup à la cohésion du groupe où j’essaye de faire en sorte que chacun puisse y trouver sa place. Pour cela il faut de la confiance, un peu de complicité, ne pas se crisper, ni avoir de réactions frontales qui ne feraient que braquer les jeunes ; bien au contraire, il faut communiquer, considérer chacun, respecter, jouer, écouter, avoir des règles de vie aussi, etc.
La clef principale réside à avoir assez de folie pour croire que l’on peut y arriver. Avoir des rêves et tout faire, étape par étape, pour qu’ils se réalisent. C’est le moteur principal, « l’envie » est pour moi la source première de la motivation.
Sur le côté obscur de cette force : c’est ambitieux, insolent, arrogant, d’avoir des prétentions ou des rêves de haut niveau! Mais c’est une énergie que les Français ont en eux : « impossible » n’est pas Français ! N’est-ce pas ?
Certains sauront développer cette ambition à bon escient. Le rôle des entraîneurs est de révéler ce négatif pour qu’il prenne les contrastes, les couleurs et les reliefs afin que le sportif ou la sportive s’épanouisse avec force (mais équilibre) dans sa passion.
La deuxième clef : toujours trouver des satisfactions dans le chemin parcouru, et ne pas tout attendre du résultat.
Même dans l’adversité il faut trouver un côté positif, utile, nécessaire, pour s’entraîner quand c’est dur.
D’ailleurs, si s’entrainer était facile, cela n’aurait aucun sens ! Et on ferait du macramé !
Troisième clef : l’abnégation, la persévérance, la constance, la patience, le renouvellement, … Tout se fera dans la durée. Il faut donc voir ses rêves à long terme : être prêt et déterminé à s’investir suffisamment pour s’en rapprocher petit à petit.
Quatrième clef : le dépassement de soi. C’est cultiver l’exigence dans tous ses extrêmes pour trouver son propre équilibre. En effet, se dépasser ne veux pas dire s’entrainer comme un fou, en ne travaillant que ses qualités physiques ! Il faut comprendre la compétition et ses enjeux dans son ensemble pour se dépasser à chaque phase, dans chaque entrainement, et optimiser tous les facteurs de la performance.
La performance est le fruit du travail, mais surtout du repos. Il ne faut pas tomber en surentrainement pour autant, mais prévenir les blessures en sachant se reposer.
Cinquième clef : s’organiser, structurer sa vie, avec méthode et créativité, mais aussi avec épicurisme pour équilibrer son existence.
C’est l’hygiène de vie, la planification, en s’entourant des personnes compétentes ou ressources qu’il faut articuler autour du sportif avec utilité selon le besoin: amis, famille, amour, médecin, entraîneur, préparateur physique, entraîneur technique, préparateur mental, coach, kiné, ostéopathe, naturopathe ou diététicien, psychologue, acuponcteur, fan club, sponsors, média, milieu scolaire ou professionnel, etc.
Sixième clef : L’estime de soi ! C’est être capable de s’accepter comme on est avec ses différences. C’est estimer qui on est, être honnête avec soi-même (et les autres) pour apprendre et voir ses points forts…
Comment s’organise la détection puis le suivi des jeunes talents en France ?
La détection se fait sur la base des résultats et des observations faites par les entraîneurs nationaux sur les compétitions dès les épreuves du TNPB. Cécile est justement investie sur les Poussins et Benjamins.
Le suivi au niveau national se fait en fonction des liens tissés avec chaque jeune, leur famille et entraîneur. En fonction des disciplines de prédilections, une répartition naturelle se fait entre les différents entraîneurs nationaux en charge des jeunes. Une influence géographique est évidente (Laurent Laguarrigue sur Toulouse et Rémy Samyn sur la région Parisienne pour le Bloc, Sylvain Chapelle pour la vitesse en région Grenobloise, Cécile Avezou basée à Massy, et moi qui suis souvent sur les routes ou dans les trains pour les jeunes en difficulté. Les jeunes en Pôles sont suivis par les responsables respectifs de chaque pôle ainsi que par un entraîneur national référent en ce qui concerne Voiron. Je suis le référent d’Arsène Duval et de Nina Arthaud par exemple.
Enfin, nous sommes en contact régulier avec les entraîneurs des meilleurs éléments, ou les entraîneurs des structures associés qui ont souvent une grande expérience. J’aime bien les consulter afin de conforter ou non, mon sentiment sur des choses à faire avancer comme les critères de sélection, le calendrier des stages ou autres.
Si l’escalade intègre les JO en 2020, tu nous as dit que ce serait surement le combiné qui serait retenu. La formation des jeunes espoirs va-t-elle aller dans ce sens ces prochaines années pour avoir des grimpeurs polyvalents dans un avenir proche ?
Les discussions sont en court pour savoir comment intégrer cette réalité, et commencer ou non, dès cette année à préparer les jeunes !
Le stage avec les Japonais sera un stage où les jeunes toucheront aux trois disciplines.
Donc oui, cela va changer beaucoup de choses et nous sommes quelques entraîneurs à pousser pour anticiper au maximum afin d’innover et d’avoir une longueur d’avance.
Cependant, si quelque chose est fait dans le sens du combiné cette année, cela ne se fera qu’avec des jeunes investit dans les trois disciplines et qui ont les qualités et la motivation pour se préparer sérieusement au championnat d’Europe et Championnat du monde où il devrait y avoir un classement combiné comme à Arco (Nous attendons la confirmation officielle de l’IFSC).
Parlons un peu des seniors également… Cette année, la France a vécu une belle année en remportant le classement par équipes de la coupe du monde de difficulté, grâce notamment à des victoires en coupes du monde que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Comment expliques-tu les résultats un peu plus mitigés de ces dernières années ?
C’est difficile d’expliquer ces années de vache maigre, Corentin a vécu des années brillantes à la tête de l’équipe de France de bloc au moment ou Jérôme Meyer montait sur les podiums, trois à quatre fois par ans, pendant dix ans ! Puis il a pris au vol l’équipe de France de difficulté, et il a énormément œuvré pour former les champions qui réussissent aujourd’hui. Son avis serait sans doute plus objectif que le mien.
Ce qui est certain, c’est que l’organisation qu’il a mis en place combiné avec le grand mur d’entraînement et la qualité des voies proposées à Voiron cela a porté ses fruits ; en permettant à nos grimpeurs de franchir un nouveau palier. Un cap à été pris aussi à ce moment là par Corentin qui s’est investi beaucoup plus sur Voiron.
Avoir Marianne Berger et Corentin pour entraîner au pôle France, en profitant de l’émulation entre eux, avec l’équipe de vitesse de Sylvain Chapelle, les grimpeurs Français s’affirment avec une vraie envie. C’est un investissement quotidien, et on ne peut que saluer le travail de Corentin pour réussir à mettre les grimpeurs dans les meilleures conditions pour réussir.
Aussi, la réussite a souvent besoin de maturité pour que tous les ingrédients soient réunis.
Enfin, il faut aussi considérer que, après l’hégémonie des Français durant presque deux décennies cela a peut-être écrasé d’un poids trop lourd la dernière génération! Mais les grimpeurs 2.0 reprennent le flambeau pour assurer la transition avec la génération naissante des hashtags.
A-t-on passé un nouveau cap cette année ?
Une seule chose : rien n’est acquis ! Alors cap sur la ville des lumières pour briller.
Et on est prêt à se retrousser les manches.
Ce que je peux dire à travers mon expérience, c’est que la réussite des sportifs est surtout due à leur état d’esprit!
C’est lui le maître ! C’est lui qui choisit de s’investir ou non dans un projet follement ambitieux. Selon sa disposition à s’investir pour organiser son environnement et s’entraîner, il sera plus ou moins facile de mettre en place une stratégie vers la réussite.
Les Entraîneurs sont là pour les aider au quotidien dans cette aspiration.
On a notamment vu la percée de Gautier Supper cette saison, qui termine 2ème du général de la coupe du monde. J’imagine que toute l’équipe en ressort grandi ?
Ca c’est sûr ! Gautier a offert à tous une immense respiration. Romain Desgranges et Hélène Janicot avaient initié le mouvement depuis quelques années déjà en montrant qu’ils pouvaient gagner. Mais là Gautier a su faire exploser les repères dans la récidive et la constance, en montrant à tout le monde que c’est à notre portée. Il faut s’accrocher et s’investir durablement pour élever son niveau et avoir la possibilité d’être au dessus du lot.
Quand on est entraîneur, comment réussir à garder l’émulation provoquée par ces bons résultats et à en ressortir encore plus fort en 2016 ?
Grimper, s’amuser, se lever tôt, s’entraîner seul, en chier, jouer, se marrer dès qu’on peut, s’entraîner ensemble, se détester puis se réconcilier et se respecter, …
Il n’y a pas de recette toute faite et de nombreux chemins mènent à Paris !
Ces bons résultats tombent à pic à un an des championnats du monde à domicile, les objectifs sont-ils déjà fixés pour Bercy ?
Même pas besoin d’en parler !
On veut deux médailles en difficulté, deux médailles en Bloc, deux médailles en vitesse, deux médailles en combiné, et une médaille dans chaque catégorie paraclimbing où nous sommes alignés!
Avec si possible quelques breloques en or pour faire honneur à notre pays.
Si tu as un mot à ajouter ou un sujet à aborder, c’est le moment, tu as carte blanche pour la dernière question !
Merci à ceux qui m’ont lu jusqu’ici !
N’hésitez pas à me contacter si vous avez besoin d’approfondir certain sujet.
- Crédit photos: FFME & F.Ferrera