Samedi 23 août. Un puissant hurlement vient briser le silence de Magic Wood. Le sourire aux lèvres, les mains encore tremblantes, Jules Marchaland se redresse au sommet du bloc. Il affiche un large sourire sur le visage. Quelques jurons de joie lui échappe tant l’émotion est forte. En un seul essai, le Français vient de s’offrir « Power of Now Direct » 8C et entre dans l’Histoire comme le deuxième homme à réussir un 8C flash. Un exploit presque irréel, qui couronne un été déjà hors norme.
Cet instant suspendu résume à lui seul la trajectoire de Jules ces dernières semaines : fulgurante, inattendue, et d’une intensité folle ! À seulement 24 ans, celui qui se définit encore comme « un falaisiste » est devenu en quelques semaines l’un des grimpeurs les plus en forme — si ce n’est le plus en forme — de la planète, accumulant les performances en bloc.

© Yulen Calleja Ordiz
Après une saison de compétition mitigée — trois Coupes du Monde pour une 17ᵉ place et deux 26ᵉ places — il est retourné s’amuser sur son terrain de jeu favori : le rocher. Et là, tout a explosé. En quelques jours, Jules a enchaîné les croix les plus convoitées du moment, avec une aisance déconcertante.
De la compétition au rocher : le grand basculement
La saison 2025 a démarré dans un registre plus contrasté. Après avoir remporté le sélectif national en mai, Jules décroche sa place en équipe de France pour disputer trois Coupe du Monde de difficulté.
Mais ces compétitions ne se déroulent pas comme il l’espère. Après une prometteuse 17e place à Innsbruck (et une demi-finale à la clé), Jules ne parvient pas à trouver son rythme sur les murs de compétition. Il termine 26e à Chamonix, à un mouvement de se qualifier en demi-finale. « C’est dur, mais c’est le jeu », confiait-il à la sortie du mur, déçu de ce résultat.

© IFSC
Une semaine plus tard, même sentence à Madrid : Jules prend la 26e place de nouveau. « J’ai bien grimpé, j’ai tout donné, mais je termine encore une fois à un mouvement de la demi-finale. C’est ma plus grande déception jusqu’à présent en compétition, et cela me fait douter. Quand on a l’impression de faire ce qu’il faut et que cela ne suffit pas, c’est dur. Je commence à me demander si je peux vraiment être satisfait de mes résultats, compte tenu de mon niveau actuel… J’essaie de rester concentré sur ce que j’aime : l’escalade, le processus, le travail et le rêve. »
Il retourne à ce qu’il aime par-dessus tout : le caillou. Et là, c’est comme si une digue cédait.
En quelques jours, le Français enchaîne son premier 8c à vue (« Produit de la Saume » ), et aligne deux 9a en falaise (« Raide de Toit » et « Action Discrète »). Et ce n’était qu’un prélude…
La révélation en bloc
C’est en Suisse que tout s’accélère. Début août, à Fionnay, Jules enchaîne « Scarred for Life » 8B+, et passe à un cheveu du flash. Puis, il se lance dans « Foundation’s Edge » 8C. Jusqu’ici, il n’avait jamais exploré les limites extrêmes du bloc. Mais en quelques essais, il franchit un cap monumental : son premier 8C bloc est dans la poche.
« C’est comme une nouvelle pratique pour moi… Je me régale ! », confie-t-il, presque surpris de s’y sentir aussi à l’aise. Pourtant, Jules a de quoi se sentir à l’aise ! Le même jour que son enchaînement de « Foundation’s Edge », il valide également « Compass North » 8B+, flashe « Permanent Midnight » 8A+ et deux autres 8A.
Quelques jours plus tard, il enfonce le clou avec « Big Nose » 8C, bouclé en… trente minutes seulement. À peine le temps de prendre ses marques avec le caillou suisse, et voilà déjà deux blocs majeurs ajoutés à son carnet.

© Coll. Marchaland
Escale à Rawyl : la parenthèse falaise
En route pour Magic Wood, Jules fait halte à Rawyl, un spot qu’il découvre presque par hasard. Et comme souvent avec lui, l’improvisation tourne à l’exploit. En deux jours seulement, il signe deux 8b+ à vue et ajoute à sa collection un nouveau 9a, le mythique « Super Finale ».
« La forêt est magnifique, je ne connaissais pas, c’était une belle découverte », raconte-t-il.
Pourtant, les conditions sont loin d’être idéales : la chaleur accablante rend chaque mouvement difficile. Mais l’impatience légendaire de Jules prend le dessus. Après un échauffement à vue dans « Paradis naturel » 8b+, il se jette dans « Super Finale » qu’il tente de flasher. Résultat : des zipettes de mains moites et une chute frustrante. « C’est le jeu, j’ai été trop impatient (comme d’habitude !) mais je ne m’en veux pas, j’aime ça ! ».
Le lendemain, il remet ça. Nouveau 8b+ à vue, « Gaiouf », puis retour dans « Super Finale ». Et cette fois, ça passe. « C’était un run à l’arrache, assez original et inhabituel dans mon escalade », avoue-t-il en riant. Mais le résultat est là : encore un 9a dans la besace, qui confirme sa forme exceptionnelle.
☝️ Qui est Jules Marchaland ?
Âgé de 24 ans, Jules Marchaland est l’un des grimpeurs français les plus prometteurs de sa génération. Originaire du sud de la France, il s’est rapidement distingué en falaise, où il compte déjà plus de 20 voies dans le neuvième degré, dont un 9b (« Bruit de l’Acid » à Claret).
Connu pour sa force hors norme et son efficacité impressionnante, le Niçois, qui vit désormais à Grenoble, se définit avant tout comme un falaisiste… mais son été 2025 a marqué une véritable explosion en bloc. Sa meilleure performance à ce jour reste l’historique flash de « Power of Now Direct » 8C à Magic Wood, qui l’a propulsé dans une nouvelle dimension.
Côté compétition, Jules a été sacré vice-champion de France de difficulté en 2024 et 2025, et évolue également sur le circuit international depuis 2022, après avoir fait ses armes sur la scène européenne dès 2018 en jeunes.
Le flash historique qui change tout
Puis vient le 24 août à Magic Wood. Jules Marchaland entre dans l’Histoire. Après deux jours de pluie, les conditions redeviennent parfaites. Jules est impatient — une de ses marques de fabrique. Le moment est venu d’en découdre avec un bloc qu’il a dans le viseur depuis quelque temps : « Power of Now ».
« Ce bloc, je l’ai toujours eu en ligne de mire… Je savais que j’allais aimer et qu’il me conviendrait. Quand les conditions sont devenues enfin parfaites, je me suis dit : c’est maintenant ou jamais ! », raconte-t-il.

© Timothée Nitschke
Au pied de cet énorme dévers, Jules prend une décision osée : viser directement la version basse en 8C, sans même passer par la version classique en 8B+.
« Je me suis dit : ça peut passer. Et tout s’est enchaîné parfaitement. Je ne voulais surtout pas rater ce flash », explique-t-il.
Quelques mouvements plus tard, le sommet est là. L’exploit est immense : Jules Marchaland devient le deuxième grimpeur de l’histoire à flasher un 8C, quelques semaines seulement après Yannick Flohé. La planète grimpe est sous le choc !
Une efficacité hors norme !
Comment un tel enchaînement est-il possible ? Jules a sa réponse : « Je ne suis pas technique, pas souple. Mais je sais exactement ce qui me correspond. Soit je plie vite une voie, soit j’abandonne vite. Je grimpe comme je vis : le plus efficacement possible. »
Cette approche directe, alliée à une impatience assumée, lui permet de faire tomber les croix en un temps record.

© Arthur Delicque
« La plupart des voies dures que j’ai faites, je les ai faites en cinq jours », explique-t-il. Et quand ça ne rentre pas, il ne s’acharne pas inutilement : il sait reconnaître les styles qui ne sont pas pour lui.
Il précise que cette manière d’aller vite dans ses projets vient aussi de son passé en compétition : « Pendant la saison de compétition, je n’avais pas suffisamment de temps pour faire autant de falaise que je voulais, je choisissais donc des projets que je pouvais plier assez vite. C’est comme si j’avais eu un « besoin de consommation » pour combler le peu de temps que j’avais dehors. Mais maintenant que les compétitions sont finies, j’ai plus de temps pour me consacrer au rocher et faire les choses bien. Je vais donc pouvoir me lancer dans de vrais projets et accepter d’y passer plus que cinq jours. »
Le rêve du bloc… devenu réalité
Ce qui rend son parcours encore plus fou, c’est qu’il avait annoncé la couleur… sans que personne n’y croie vraiment.
En juin, il nous confiait vouloir « se rattraper » en bloc, une discipline qu’il avait toujours un peu mise de côté et rêvait déjà d’un 8C bloc flash. « Ça va paraître prétentieux, mais je pense que c’est possible. Dans le bon bloc, dans mon style, avec un excellent run… »

© Timothée Nitschke
Deux mois plus tard, l’impensable est devenu réalité. Son premier 8C bloc ? C’est fait. Le 8C flash ? C’est fait. Et au vu de la marge affichée, la suite pourrait bien dépasser toutes les attentes !
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
En l’espace de quelques semaines, Jules Marchaland a accumulé :
- trois voies en 9a
- deux voies en 8b+ à vue
- six blocs cotés 8B+
- trois blocs cotés 8C
- et le deuxième 8C flash de l’histoire
De quoi s’imposer comme le grimpeur le plus en forme du moment, toutes disciplines confondues !
Et maintenant ?
Lui-même le sait : « On ne peut pas finir le jeu. C’est illimité. » Mais ce qui est sûr, c’est que Jules n’a jamais semblé aussi fort… Et qu’il lui reste des rêves, comme « Ratstaman Vibrations » 9b à Céüse, ou même un jour un 9A bloc aux États-Unis.

© Arthur Delicque
En attendant, cet été 2025 restera gravé comme celui où Jules Marchaland a cessé d’être seulement un grimpeur prometteur pour devenir l’une des références mondiales. Un été où l’impatience est devenue un moteur, et où chaque essai semblait guidé par l’évidence.
Le monde de l’escalade a trouvé son homme de l’été. Et peut-être plus que ça…