Deux mois de combat pour une ligne mythique : Dylan Chuat nous raconte son enchaînement de « Move » 9b/+

© Coll. Chuat
Dylan Chuat est l’un des grimpeurs les plus talentueux… et les plus discrets de sa génération. Réservé et concentré, ce jeune Suisse n’a pas besoin de mots pour briller : ses performances sur le caillou suffisent. À 24 ans, son palmarès est déjà impressionnant : une trentaine de voies dans le neuvième degré, dont certaines parmi les plus mythiques du monde. Il garde notamment un souvenir marquant d’ »Action Directe » en Allemagne ou encore de « Super Crackinette » à Saint-Léger, des ascensions qui l’ont profondément marqué, peut-être plus encore que la plupart de ses autres réalisations.
Mais cet été, Dylan a franchi un nouveau cap dans sa carrière. En s’offrant « Move », le mythique 9b/+ libéré par Adam Ondra en 2013, il a rejoint le cercle ultra-fermé des six grimpeurs ayant dompté cette ligne. Pendant plus de deux mois, il a vécu au rythme de ses essais, de ses échecs et de ses petites victoires intermédiaires. Entre les longues journées de pluie scandinave, les moments de doute et les phases d’euphorie, il a progressivement apprivoisé la voie. Un processus intense, ponctué par l’enchaînement d’autres classiques de la grotte, avant de signer son ascension de « Move ».
Nous l’avons rencontré pour revenir sur ce “siège” hors norme : ses sensations, sa méthode de travail, ses moments clés et la signification de cette performance dans son parcours.
Dylan, félicitations pour cette énorme performance ! Pour commencer, peux-tu nous raconter comment est née l’idée de venir tenter “Move” à Flatanger ?
J’étais venu à Flatanger il y a trois ans et j’avais fait la plupart des 8c ainsi que « Thor’s Hammer » 9a/+. Je n’étais pas revenu depuis mais j’avais toujours en tête de revenir. Pour moi c’est une falaise parfaite, c’est comme si tu regroupais toutes les plus belles sections de bloc sur 50 mètres.
C’est personnellement le caillou que je préfère. Je trouve ça incroyable ! Essayer une voie dure là-bas me paraissait logique, alors j’ai choisi « Move », une voie 100 % naturel, un élément important pour moi, devenu rare de nos jours dans le niveau 9b et plus.
Je n’avais aucune expérience d’un trip et d’un processus si long. Je ne savais pas comment gérer mes jours de repos pour ne pas me désentraîner ni trop me fatiguer.
Tu disais au début du trip que c’était « la première fois que tu t’engageais dans un processus aussi ambitieux ». Qu’est-ce qui t’a poussé à franchir ce cap cette année ?
Ça fait trois ans que j’ai envie d’essayer un 9b ou une voie qui repousses mes limites. Jusqu’à présent, je n’avais essayé que des voies où je savais que j’allais réussir.
Pour ça, j’ai dû partir en trip car il n’y en a pas près de chez moi. Mais chaque fois que j’ai organisé un voyage ces dernières années, je me suis blessé ou il y a eu d’autres mésaventures.

© Jeremiah Watt
C’était ton premier gros trip en Norvège ? Qu’est-ce qui t’a le plus marqué en arrivant dans la grotte ?
C’est mon premier gros trip, je n’étais encore jamais parti si longtemps grimper. Rien ne m’a réellement surpris car j’étais déjà venu il y a trois ans avec mon ami Sam. Ah si, la sur-fréquentation de la falaise par rapport à avant !
Tu es resté plus de deux mois à Flatanger. Comment as-tu organisé ton séjour ?
J’avais vraiment envie de concrétiser mon projet et j’avais prévu trois mois en tout. Malheureusement, presque un mois complet était ingrimpable à cause des grosses chaleurs… On en a profité pour visiter les Lofoten avec ma copine et pour aller travailler en ouverture à Oslo.
Qu’est-ce qui t’a le plus surpris ou marqué dans la vie quotidienne autour de ce projet
La météo a été très compliquée à gérer. L’atmosphère avec les autres grimpeurs a été très cool, surtout quand Adam Ondra, Alex Megos ou Seb Bouin étaient là. C’est galvanisant d’avoir ces légendes à la falaise ! Ce qui a été difficile pour moi, c’était que je n’avais aucune expérience d’un trip et d’un processus si long. Je ne savais pas comment gérer mes jours de repos pour ne pas me désentraîner ni trop me fatiguer.

© Coll. Chuat
On sait que la météo à Flatanger peut être capricieuse… Comment as-tu géré les journées de mauvaise condition ?
Au début du trip, ce n’était pas très grave car je travaillais des sections. Mais comme je le disais, presque un mois entier était ingrimpable, même pour travailler juste quelques mouvements. Durant ces jours, j’en ai profité pour faire d’autres voies dans la grotte, comme « Illusionist » et « Change P1 ».
L’enchaînement de ces voies, c’était planifié ou complètement improvisé ?
Complètement improvisé ! Je les ai faites pour le plaisir et la culture.
Dès la première séance je me suis dit que je pouvais la faire. Puis, en voyant mon manque d’endurance, je me suis dit que ce serait impossible !
Peux-tu nous décrire les grandes étapes de ton travail dans la voie ? Quels ont été les moments les plus difficiles pour toi ?
Le processus a démarré très rapidement. Je me suis tout de suite senti bien et proche de la réussite. Mais j’ai vite remarqué qu’il me manquait une endurance spécifique à la grotte. Le mois sans grimpe a été très compliqué à gérer, j’avais l’impression de perdre mon temps…
Quand je suis revenu, le processus est allé très vite : j’ai fait des enchaînements prometteurs à chaque séance, jusqu’à mettre deux runs très proches de la réussite (où je suis tombé dans les derniers mouvements), puis j’ai fait la voie.

© Coll. Chuat
À quel moment as-tu commencé à croire que c’était possible de l’enchaîner avant la fin du trip ?
Mes croyances ont fait up and down. Dès la première séance je me suis dit que je pouvais la faire. Puis, en voyant mon manque d’endurance, je me suis dit que ce serait impossible ! Mais quand j’ai mis mon premier bon essai, j’ai su que ça passerait car il me restait du temps. Ça montre sûrement mon manque d’expérience et de connaissance de moi-même dans ce genre de processus.
Tu parles de frustration quand tu régressais : comment faisais-tu pour rebondir et retrouver de la motivation ?
Changer d’air aux Lofoten a fait du bien, et ma copine a été un super soutien émotionnel pour moi.
J’étais dans un énorme flow, un état d’osmose !
As-tu modifié ta méthode ou ton approche au fil des semaines ?
Les méthodes sont restées les mêmes pour moi dès le début. Ce qui m’a vraiment permis de progresser, c’est de travailler la fin en partant de plus en plus bas, plutôt que de mettre des runs complets à chaque fois. C’était plus motivant que de refaire le début encore et encore.

© Jeremiah Watt
Raconte-nous le jour J. Dans quelles conditions étais-tu ? Qu’est-ce qui a fait la différence par rapport aux essais précédents ?
Je n’avais mis que deux très bons essais avant mon enchaînement, où j’étais tombé au même mouvement. Logiquement, la suite voulait que ça passe ce jour-là, même si les conditions étaient moins bonnes. C’est cool de l’avoir fait avant que ça ne devienne mental !
Qu’as-tu ressenti en clippant le relais ?
Pendant 5 secondes je me suis demandé si j’avais vraiment fait la voie ou juste un link. C’est pour ça que je n’ai pas crié tout de suite… J’étais dans un énorme flow, un état d’osmose !
Tu es le 6e ascensionniste d’une voie devenue très convoitée ces dernières années. Est-ce que ça donne une saveur particulière à ta réussite ?
En général, je n’aime pas grimper des voies trop fréquentées. J’aime les premières ascensions ou les voies peu répétées. Mais celle-ci m’a toujours attiré. Malgré ses nombreuses répétitions récentes, je pense que ça n’enlève rien à la difficulté, surtout quand les autres ascensionnistes sont des légendes de l’escalade.

© Coll. Chuat
Adam Ondra a commenté ton ascension sur Instagram « Chapeau 👏 Tu le mérites ». Ça t’a fait quoi ?
C’est évident que ça m’a touché. Pour moi, c’est la plus grande légende que l’escalade ait connue. Mais au-delà de ça, Adam reste avant tout un humain extrêmement passionné, qui aime voir ses voies répétées et encourager la nouvelle génération.
“Move” est ton premier 9b/+. Est-ce que ça change quelque chose dans ta perception de ton niveau et de ce qui est possible pour toi ?
Non, mon niveau n’a pas changé en quelques semaines. J’ai juste mis plus d’essais que dans d’autres voies. Mais c’est clair que j’ai envie d’en faire plus et d’aller plus loin. Pour moi, c’est la première d’une longue série (je l’espère). Pour ça, j’ai besoin de libérer du temps, et j’espère que cette perf me donnera un coup de pouce pour trouver des soutiens.

© Coll. Chuat
Après un tel projet, on imagine qu’il y a une grosse satisfaction, mais aussi un petit vide… Comment envisages-tu la suite de ta saison ?
Au contraire, ça ne me laisse pas un vide, ça me donne encore plus d’idées, de projet et de motivation pour la suite !
As-tu une anecdote à nous partager à propos de ton séjour à Flatanger ?
Que j’aimerais pouvoir pêcher et être affûté au cabillaud toute l’année !
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