Cédric Lachat s’offre les 238 mouvements de « Chilam Balam » 9a+/b !
Cédric Lachat est venu à bout des 82 mètres de « Chilam Balam » 9a+/b en Espagne, après plusieurs semaines de travail.
Il s’était promis d’enchaîner au moins cinquante voies dans le neuvième degré avant ses 40 ans… C’est maintenant chose faite ! Et avec de la marge s’il vous plaît, car il lui restait encore neuf mois pour accomplir cet objectif. Pour marquer sa cinquantième voie dans le neuvième degré, Cédric Lachat a vu les choses en grand : il a choisi la gargantuesque ligne de Malaga en Espagne, « Chilam Balam » et ses 238 mouvements en 9a+/b.
Cette ligne de 85 mètres de long a été équipée en 1999 par Bernabé Fernández, qui en fera la première ascension quatre ans plus tard. À l’époque, il s’agissait de la première proposition en 9b+ au monde, ce qui a déclenché une vive polémique. En effet, en 2003, le 9a est bien établi (avec une vingtaine de voies environ) et seules quelques voies au-dessus du 9a ont été annoncées. Parmi elles, la controversée « Akira », proposée à 9b par Fred Rouhling en 1995, « Biographie » le 9a+ de référence libéré par Chris Sharma en 2001, « Flex Luthor »9a/+ enchaîné par Tommy Caldwell en janvier 2003, « Flatmountain » 9a/+ libéré par Yuji Hirayama en mars 2003 et « La Rambla » 9a+ enchaîné au cours du même mois par Ramón Julián Puigblanque. Il était donc osé de la part de Bernabé Fernández de passer directement au 9b+.
Huit ans plus tard, Adam Ondra, le premier répétiteur de « Chilam Balam », enchaînera la voie après seulement trois jours de travail, et reverra la cotation à la baisse, décrivant la voie comme un « gentil 9b ». Seb Bouin, qui deviendra le troisième ascensionniste de la voie en mai 2015, ira même encore plus loin en optant pour le 9a+/b : « C’est clair que 9b+ c’était la méga blague ! Je ne pense pas que ce soit un vrai 9b. Pour Adam Ondra, c’est un petit 9b. Pour Dani Andrada, qui a essayé avec moi, c’est 9a+. Pour Edu Marin, c’est 9a+/9b. Après réflexion, je propose 9a+/9b« .
Malgré le fait que la cotation ait été revue à la baisse, les ascensions de la voie se font rares. Outre les répétitions d’Ondra et de Bouin mentionnées ci-dessus, on ne compte que celles de Dani Andrada (2015), Edu Marín (2015), Sindre Saether (2019), Jonatan Flor (2021) et maintenant Cédric Lachat (2023). Il faut dire que la ligne est particulièrement intimidante ; la travailler demande un grand effort, tant physique que mental.
Les 85 mètres de la voie peuvent être décomposés en trois parties : un 8c+, un 8b+/c, et un 8c, chaque partie étant séparée par un repos complet. La première section est principalement constituée de colonnettes et stalactites et est marquée par un crux très difficile au niveau de la quatrième dégaine. La seconde partie, très déversante, est physique à souhait, sur des trous et des concrétions de toutes tailles. La fin remonte un mur gris légèrement surplombant sur petites prises, avec un pas de bloc aléatoire sous le relais, estimé à 7B bloc à lui seul. Cédric Lachat est d’ailleurs tombé à plusieurs reprises à cet endroit, avant d’en venir à bout.
Et voilà, Chilam Balam 9a+/b, c’est fait 🙂 Je suis tellement heureux et fier d’avoir enfin clippé le relais de cette voie de oufff. Et cerise sur le gâteau : je coche ma cinquième voie dans le neuvième degré avant mes 40 ans.
Cédric Lachat
Cédric Lachat dans le pas de bloc sommital de « Chilam Balam » :
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Depuis le début de l’année 2023, Cédric Lachat ne cesse de nous époustoufler. Outre la répétition de « Chilam Balam », le Suisse a enchaîné sa voie la plus difficile à ce jour, « Fantasia » 9b, dans le massif du Vercors, quelques semaines après avoir réalisé la première ascension de « At Home Cornus » 9a+ dans le Vercors également. Plus récemment, comme étape préliminaire à l’enchaînement de « Chilam Balam », il a clippé les relais de ses deux variantes : « Chilam Salsera » 9a et « Maldita Envidia » 9a.
L’interview de Cédric Lachat suite à son enchaînement :
Peux-tu revenir sur ta journée d’enchaînement de « Chilam Balam » ?
Alors, c’était le dernier jour avant de partir. J’étais fatigué après ce long séjour, mais j’ai quand même tout mis en œuvre pour bien me préparer dès le matin afin de faire un dernier essai. Ma copine a réussi son premier 7c juste avant moi. Cela m’a finalement redonné un peu d’énergie pour me motiver à faire l’effort. Ce n’est pas facile quand on est fatigué mentalement, car l’effort est long. Ce n’est pas seulement physique, mais aussi mental, car il faut enchaîner les mouvements entrecoupés de pas de blocs difficiles et se forcer à rester concentré. Malgré les super genoux, se reposer n’est pas si simple, car il faut toujours être en tension sur la pointe des pieds et vraiment contracter les muscles. C’est donc une autre fatigue à gérer. Ensuite, il ne faut pas douter mentalement, car même si on se met en difficulté dès le début de la voie, il faut avoir confiance et se dire que l’on pourra récupérer plus haut. Donc, avant de partir pour faire un essai dans cette voie, il faut être prêt mentalement.
Parle-nous de ton processus de travail pour parvenir à faire la croix.
La voie est longue et peut se diviser en trois parties. C’est assez spécial. On pourrait imaginer une grande voie qu’il faut faire en une seule longueur. J’ai donc travaillé la première partie en 8c+, ce qui n’était pas gagné pour moi au début du trip, car je n’étais pas entraîné/en forme après ma saison de travail. Une fois que j’arrivais à faire le 8c+, j’ai décidé de faire une sortie tout droit de 60 mètres en 9a pour me mettre en forme. Ensuite, j’ai fixé une corde au relais du 8c+ pour aller directement au début de la grande traversée en toit que j’estime à 8b+/8c. Elle n’est pas non plus facile, car il y a deux gros pas de bloc suivis de petits pas de résistance entrecoupés de super repos. C’est spécial à grimper. Il faut réussir à être rapide sans se fatiguer et trouver les repos parfaits pour réussir l’intégralité de « Chilam Balam ». Ensuite, je suis allé voir la dernière partie de la voie, mais je ne bougeais pas bien dans la fin et je ne me sentais pas assez en forme. Alors, j’ai fait un autre 9a qui me faisait faire le 8c+ puis la moitié de la traversée et sortir par une sortie toute droite. J’ai repéré juste une fois la sortie en 9a et je l’ai faite histoire de m’entraîner un peu. Puis pour finir, je me suis mis à bosser sur la fin de « Chilam Balam » avec ce fameux 7C bloc qui me posait tant de problèmes car je manquais vraiment de fermeture de bras. Mais après pas mal de jours de travail sur ce mouvement, j’ai réussi à le faire. J’ai d’abord essayé d’enchaîner juste la dernière partie, puis ensuite j’ai fait un essai du bas. Il m’aura fallu au final quatre essais du bas pour y arriver. C’est rapide et long en même temps, car tout ce travail fatigue. Il faut du repos et progresser tout au long d’un séjour sans non plus trop fatiguer et tomber en sur-entraînement. Il faut donc trouver la bonne balance entre travail, entraînement et repos.
Peux-tu nous décrire la voie ?
Cette voie de 85 mètres, avec ses 218 mouvements et ses 24 dégaines, se divise en trois parties : 8c+, puis un gros toit en 8b+/8c pour finir par un 8c+. Tout cela équivaut à un 9a+/b. Il y a énormément de repos avec des genoux. Dans l’enchaînement, je grimpais les deux premières parties avec une corde. Quand j’arrivais à la fin de la traversée, je me mettais sur deux super bons genoux, puis je clippais une autre corde à mon baudrier, préinstallée auparavant, et un autre assureur me prenait sur cette corde. Cela m’évitait de tirer 85 mètres de corde. Je ne sais pas si c’est la meilleure méthode, mais c’est ce que j’ai trouvé qui fonctionnait. En tout cas, pour une voie comme celle-ci, il faut avoir le temps de travailler avec un super assureur. Ce n’est quand même pas le plus ludique pour l’assureur. Merci à ma copine sur ce coup, c’est sûr…
Un avis sur la cotation ?
Pour la cotation, je suis assez d’accord sur le 9a+/b, car avec deux genouillères, ça change tout. Avec une seule, je trouverais ça bien plus difficile. Mais je comprends que sans les bonnes méthodes ou des genoux, la voie devient extrême. Et encore là, dans la première partie, j’en bave car je suis limite en taille et crucifié. J’imagine que si tu es plus grand, ça devient encore plus facile.
Pourquoi t’être lancé dans ce projet ?
Je voulais grimper dans un bon spot à cette période. Villanueva del Rosario semblait la falaise parfaite pour ce trip. À la base, je voulais aller voir autre chose. Je crois que j’avais peur d’aller voir cette voie. Je pensais que c’était trop complexe à faire et trop d’investissement. Mais un ami, Ludovic Pin, lors d’une journée de grimpe, m’a dit que je devrais aller voir, et au final, cette petite phrase m’a motivé et c’était parti. J’ai un peu fait la tête quand j’ai essayé au début le 8c+ et que j’ai vu que j’avais du vraiment du mal. Je me suis demandé comment je ferai pour faire tout ça. Car il faut vraiment marcher le début pour réaliser la voie…
Un dernier mot à ajouter ?
Je ne pensais pas encore réussir une voie si dure maintenant. À presque 40 ans, j’ai toujours plus de mal à rester en forme et moins de temps pour m’entraîner physiquement comme dans le passé. Mais au final, je progresse toujours. J’ai moins de force maximale, clairement par manque d’entraînement, mais beaucoup plus d’expérience et de maîtrise de moi, ce qui me permet d’augmenter le niveau. Presque que j’aurais envie de m’entraîner sérieusement pour voir ce que je pourrais faire. Mais bon, là j’atteins gentiment mes limites et je n’ai plus la tête et la forme pour m’entraîner comme quand j’avais 25 ans. Donc, ça me va bien.