Depuis le 12 octobre 2022, l’escalade est interdite sur l’une des falaises historiques françaises. Saffres, en Bourgogne.
400 voies dont le tout premier 6c français (Le rateau par Jean-Claude Droyer en 1977), un chantier de rééquipement terminé et un nouveau topo en 2021. Rendez-vous compte. Comment peut-on passer d’une gestion saine et pérenne à une interdiction ?
Depuis, un vent de panique souffle chez les Maires côte-d’oriens qui ont la propriété d’une falaise. Vieux-Château, Arcenant, mais également des communes dans la Drome et les Pyrénées s’inquiètent de leurs responsabilités dans l’entretien des falaises.
Nous pensions être sorti d’affaire avec la Loi Falaise, mais la tension n’a jamais été aussi forte. Alors que se passe t-il et pourquoi les interdictions risquent-elles de pleuvoir en France?
Point rapide sur le dossier déconventionnement
Les conventions d’entretien des falaises par la FFME ont permis un développement considérable des sites et la création de ce patrimoine national envié dans le monde entier. Avec l’ancien système de convention la fédération prenait tous les risques.
2010 – accident de Vingrau (article PlanetGrimpe), le procès qui se termine en 2019 coûte 3 millions d’euros à la FFME et son assureur. Le modèle de convention commence à être remis en question.
2020 – annonce de la fin des conventions (article PlanetGrimpe)
2022 – La Loi falaise modifie en profondeur le régime de responsabilité des propriétaires de sites naturels. Le gardien d’un site n’est plus tenu pour responsable.
Responsabilité sans faute du propriétaire votée, l’escalade française est sauvée, fin de l’histoire, bonne grimpe à tous !
Eh bien non ça serait trop simple… Car il reste à entretenir ces falaises pour que la Loi soit utile. Or le coût d’entretien repose désormais sur les propriétaires des falaises et la notion de responsabilité reste floue.
Explications avec Patricia Nore, Maire de Saffres
En 2020, Madame la Maire est approchée par le comité départementale Côte-d’Or de la FFME qui lui annonce la possibilité de la fin de la convention. « Mais ensuite je n’ai pas eu de nouvelles du dossier pendant 2 ans ». L’escalade à Saffres suit son cours avec un énorme chantier de rééquipement par Yannick Dupin et impulsé par la Communauté de Communes des Terres d’Auxois.
Or le 24 septembre 2022, Patricia Nore reçoit un courrier recommandé lui informant que la falaise de Saffres allait être déconventionnée avant le 31 décembre. Celle qui est « présente le weekend lors des gros rassemblements pour voir si il y a des besoins parmi les grimpeurs » et qui a « toujours tout fait pour leur faciliter la vie » décide sans tarder d’organiser une réunion le 27 septembre avec la présence des représentants du comité départemental de la fédération, du président de la communauté de communes des Terres d’Auxois ainsi que son représentant de la commission tourisme.
Patrick Violet, président du CT21 de la FFME, explique alors le plan de sortie du déconventionnement et propose un contrat : « La fédération engage un prestataire privé, une entreprise, pour l’équipement et l’entretien de la falaise qu’elle facture au propriétaire. Mais la responsabilité juridique revient désormais au propriétaire ».
Aucune position ne change. La Communauté de communes est mal renseignée sur les compétences qu’elle peut porter et la réunion se termine sans qu’un réel accord soit trouvé.
« Le 10 octobre je reçois un second recommandé, indiquant que la fin de la convention prendra effet à compter de la réception du courrier et non plus au 31 décembre comme avant »
Au-delà de la responsabilité juridique, le coût financier
C’est la douche froide pour Patricia Nore qui se retrouve alors au pied du mur face à une responsabilité juridique et financière impossible à gérer pour sa petite commune de 120 habitants.
Madame la Maire reconnait que la FFME est dans son droit mais regrette une attitude un peu cavalière.
La FFME se délaisse d’un poids pour le remettre aux propriétaires mais pour des petites communes ce n’est juste pas possible. Il est clair et net que la commune de Saffres ne peut pas prendre en charge le coût. Notre budget annuel est de 70 000 €, il faudrait que je ne fasse plus de travaux de voiries, plus rien pour le village, pour m’occuper de la falaise
Pas de retombées économiques de l’escalade
N’ayant pas de camping ni de commerces, Madame la Maire informe que « l’escalade n’a pas de retombées économiques pour la commune ». Pas d’aides de ce coté-là pour compenser, au contraire même, la commune paie la présence des grimpeurs. « À la suite d’un très gros rassemblement au printemps avec une centaine de tentes, nous avons mon mari et moi ramassé une remorque entière de déchets. Or la commune est taxée sur le ramassage des ordures. »
A contre coeur, Patricia Nore décide avec un arrêté, d’interdire temporairement l’escalade jusqu’au 1er mars 2023.
« Je n’ai rien contre l’escalade ni les grimpeurs. Je trouve ça lamentable qu’un site avec un rayonnement européen doive en arriver là. »
Elle espère que l’arrêté temporaire tombant dans une période hivernale, avec donc une moindre fréquentation, gênera moins les grimpeurs.
« J’ai voulu un compromis avec cet arrêté temporaire et non définitif. L’arrêté ne fait pas mention d’amende non plus car je reste solidaire avec les grimpeurs. »
Quel modèle mettre en place ?
La falaise restera donc fermée tant qu’un autre acteur ne pourra prendre cette responsabilité. Un modèle est pourtant envisagé par la Maire.
Il faudrait que la FFME prenne en charge l’assurance et la responsabilité, la Communauté de communes s’occupe de l’entretien et de la sécurisation des falaises et des équipements, et la commune s’occupe des chemins d’accès et des abords des falaises. » mais elle annonce que « si la Communauté de Communes, le département ou la FFME ne font pas un pas c’est la fermeture définitive de la falaise et le déséquipement.
Un déséquipement qui aura tout de même un coût non négligeable pour la commune mais qui réprésente « le coût de la tranquilité car nos budgets sont déjà hyper contraints » pour Patricia Nore.
« Je ne comprends pas pourquoi l’assurance dans la licence des grimpeurs ne peut prendre en charge les risques. Et pourquoi ne pas avoir augmenté la licence plutôt que déconventionner ? ».
En attendant, la Maire de Saffres a déjà été contacté par de nombreuses communes pour avoir son modèle d’arrêté. Sa porte est ouverte aux grimpeurs et au dialogue.
Une communauté qui se déchire
Nombreux sont les grimpeurs qui se sont soulevés contre cette interdiction soudaine. Ainsi certains locaux se sont réunis lors d’une réunion d’information le 19 octobre à la salle d’escalade Cime Altitude à Dijon. Les esprits se sont fortement brouillés lors de cette soirée où le Comité départemental avait fait le déplacement.
Olivier Langris, grimpeur local et présent lors de cette réunion s’est senti seul en proposant une approche plus calme. « Tout le monde doit jouer le jeu. Nous devons montrer une bonne image de la communauté grimpe et être raisonnable ». Olivier promeut aussi l’idée que les grimpeurs participent « Nous pourrions faire un pot participatif par falaise pour aider à l’entretien » mais il déplore que peu de jeunes s’emparent du sujet. En effet, peu étaient présents lors de la réunion.
D’autres, comme Grégoire Clouzeau du site « La Tribune Libre de Bleau » évoque un arrêté infondé juridiquement et propose de l’attaquer au Tribunal administratif (à lire ici).
Mais ne serait-ce pas enfoncer encore plus cette commune qui cherche plutôt des soutiens ? Un arrêté qui de plus est passé sous un contrôle de légalité pour être validé, informe la Maire de Saffres.
La parole à la FFME
Du coté FFME on reconnait volontiers qu’il est compliqué pour les petites communes d’assumer seules la gestion d’une falaise.
« La Loi accentue la faute sur le grimpeur mais n’exclu pas entièrement la responsabilité du propriétaire. Pour ça il faut qu’un contrat d’entretien soit à jour afin d’être protégé si procès il y a », nous rappelle Patrick Violet.
Financièrement parlant, le CT21 estime le contrat d’entretien à 40 000 euros à la charge de la petite commune de Saffres.
10 000 sites d’escalade en France, 600 conventions actives
Au-delà du conventionnement, Patrick Violet rappelle qu’en France il y a « 10 000 sites d’escalade, 800 conventions, plus que 600 actives aujourd’hui par la FFME (300), la FSGT et le CAF. Le compte n’y est pas, donc on peut dire que la majorité des falaises sont hors la loi. »
Sur la Côte-d’Or, 19 sites d’escalade sont présents, 17 praticables (sites sportif, terrain d’aventure) mais 4 sites seulement ont encore une convention.
« L’interdiction de nos falaises est surtout un problème de responsabilité assurantielle. Il y a un fort risque d’effet boule de neige car les propriétaires, de plus en plus au courant, prennent peur. »
Alors pourquoi n’y a-t-il pas eu de problèmes d’interdiction avant ? Patrick Violet admet que « avant il y avait moins de murs artificiels, donc il fallait développer l’escalade et cela passait forcément par les falaises. »
Déresponsabilisation mais pas abandon des falaises
Patrick Violet parcours le département pour proposer des contrats d’équipement et répond ici et là aux inquiétudes des Maires. Comme personne il ne souhaite d’interdiction. La volonté de la Fédération n’est pas de laisser à l’abandon les falaises mais de proposer des contrats pour les entretenir. Echaudée par plusieurs accidents « la FFME se déresponsabilise des risques, les choses sont les choses, mais nous souhaitons toujours prendre en charge la partie équipement ».
« Nous avons réussi à acter des contrats d’entretien avec les Communes de Chambole, Fixin, et Brochon pour 4 ans au moins. »
Un exemple de convention reconduite
Philippe Sovcik, conseiller municipal de la commune de Brochon (Côte-d’Or) dont la convention à été reconduite sur 4 ans après un accord.
La FFME nous a proposé un contrat de l’ordre de 1500 € par an pour l’entretien de la petite falaise de Brochon. On peut le prendre en charge mais on ne pourra pas absorber le risque d’accident sur la falaise. Si j’ai bien compris c’est la FFME qui gardera cette responsabilité sur notre contrat. Mais sinon un arrêté d’interdiction c’est une solution parapluie rapide pour se protéger. Les maires n’y connaissent rien et prennent peur. C’est difficile de mesurer le risque. Si la FFME garde la responsabilité face à un accident, avec le contrat d’entretien tout est plus cadré pour faire face à un procès donc on comprend. Mais il faudrait que le Département ou la Région s’empare du sujet car toutes les communes ne pourront pas prendre en charge le coût d’entretien de la falaise. Ça permettrait de rendre justice aux petites communes qui doivent gérer une falaise importante. Aux grimpeurs aussi de se bouger pour montrer l’intérêt de l’escalade aux Maires. L’escalade c’est un vecteur touristique et même au-delà car des grimpeurs viennent habiter proche des falaises.
Conscient de l’histoire de l’escalade libre en France, Patrick Violet reconnait que « si des équipeurs sauvages n’avaient pas équipés des falaises, l’escalade ne se serait pas autant développée. »
Mais il rappelle que penser que l’on peut faire ce que l’on veut dans la Nature est une illusion « La grimpe c’est un peu comme aller chercher des champignons. Vous jouissez d’un terrain qui est privé. S’il vous arrive quelque chose, le propriétaire est responsable. »
Depuis quelques années l’entretien de la falaise de Saffres ne se fait pas par la FFME. En effet, la Communauté de Communes des Terres d’Auxois paie un prestataire privé en la personne de Yannick Dupin pour un chantier de rééquipement de la falaise. Marquant sa volonté de developper le site la FFME a investi 4000 euros pour l’achat de matériel.
Yannick Dupin, rééquipeur de Saffres et auteur du topo « Saffres, escalade en terres d’auxois »
Convention ou pas pour moi ça ne change pas grand-chose à vrai dire. L’avenir pour moi c’est qu’il y ait un peu une sentinelle par falaise. Une ou plusieurs personnes qui soient identifiées et qui arrivent à s’impliquer dessus. Ça peut être un club comme ça a souvent été le cas mais ce sont des bénévoles qui donnent de leur temps et pour moi le suivi ne sera jamais aussi bien fait que quelqu’un qui est identifié et qui a un contrat. Après voilà ça peut être un club mais il faut au moins qu’il y est un référent expérimenté pour la falaise.
Mercredi 9 novembre une réunion importante aura lieu avec les instances nationales de la FFME, le comité départementale, la Mairie de Saffres ainsi que la Communauté de Communes. Si aucun accord n’est trouvé alors ce sera l’interdiction définitive de l’escalade sur cette falaise historique qui se répandra peut-être à d’autres sites.
Texte et Photos: Matthias Paré