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Quels changements pour l’escalade 1 an après les premiers J.O de l’Histoire ?

- Le 27 août 2022 -

Il y a un an, à Tokyo, l’escalade faisait ses premiers pas dans la sphère olympique. Une folie pour certains, une belle (r)évolution pour d’autres. Mais concrètement, que peut-on retenir un an après ces premiers J.O de l’Histoire de l’escalade ?

Des J.O et un combiné qui auront fait débat

C’est en 2016 que l’annonce officielle de l’intégration de l’escalade aux J.O tombe. Après des années de combat par les fédérations pour tenter de faire reconnaitre l’escalade comme discipline olympique, l’objectif était enfin atteint ! Mais tout le monde ne se réjouit pas, avec comme première crainte, devenir un « sport business » et en oublier l’essence même de notre discipline, notamment l’escalade en falaise et l’état d’esprit qu’on y associe.

Une autre conséquence des J.O qui ne passe pas pour les puristes, réside dans le fait que l’épreuve retenue sera le combiné des 3 disciplines (bloc, difficulté, vitesse), et associer l’escalade à la vitesse est à l’époque un sérieux problème pour beaucoup de grimpeurs. D’ailleurs, rappelez-vous, Adam Ondra s’était exprimé sur ce sujet brûlant…

Je suis prêt à boycotter les J.O si le format reste ainsi. Pour moi, l’escalade en compétition vient d’abord de l’escalade naturelle, où le but est avant tout d’atteindre le sommet. La vitesse me semble être une pratique plus artificielle, où les compétiteurs s’entraînent sans relâche sur les mêmes prises, disposées au même endroit sur tous les murs de vitesse du monde. Une discipline qui n’a pas grand chose en commun avec la philosophie de l’escalade selon moi. »

Jakob Schubert y était également allé de son avis bien tranché…

La vitesse est une épreuve trop éloignée du bloc et de la difficulté, c’est pourquoi elle ne devrait pas être admise dans ce combiné. Comme beaucoup d’autres grimpeurs, j’espère que l’IFSC et le CIO ne retiendront pas ce format, qui semble déplaire à beaucoup de monde. »

Depuis, l’escalade aux J.O et son format combiné a fait son petit bout de chemin, les esprits se sont ouverts, et surtout, tout le monde a finalement bien compris que ce format pour les J.O de Tokyo n’était pas une fin en soit mais le début d’une ère olympique, avec comme objectif, à terme, que chaque discipline de l’escalade soit reconnue à part entière.

Alors oui, sur ces premiers J.O de l’escalade, tout n’était pas parfait, mais l’essentiel était bien là : faire découvrir au monde entier notre sport, et couronner les premiers champions olympiques de l’Histoire avec chez les hommes le hold up de l’Espagnol Alberto Gines Lopez, et chez les femmes la victoire, presque inévitable, de la Slovène Janja Garnbret.

Janja Garnbret, première championne olympique de l’Histoire | © Jessica Glassberg

Une mise en lumière mondiale de la discipline

On ne s’en rend pas toujours compte, mais les Jeux Olympiques d’été sont suivis par plus de 4 milliards de téléspectateurs. Il s’agit tout simplement de l’événement sportif le plus regardé au monde, devant la coupe du monde de foot masculine qui regroupe 3,3 milliards de téléspectateurs en moyenne.

L’intégration d’un sport aux J.O d’été est donc forcément une vitrine exceptionnelle qu’il ne faut pas sous-estimer : l’escalade a eu son moment de gloire dans tous les grands médias de la planète, papier ou télévisés, du New York Times aux US en passant par Le Monde en France. Les médias des quatre coins du monde ont parlé de notre sport, et en terme d’image, il n’y a pas plus fort catalyseur.

Une horde de photographes pour l’escalade aux J.O.

D’ailleurs, Christopher Hardy nous le confirmait lors d’une interview après avoir commenté les Jeux sur Eurosport :

Ces premiers J.O ont fait une entrée MAGISTRALE dans l’univers de l’olympisme, la devise olympique correspond vraiment à notre sport. Techniquement, le combiné, on a beau en dire ce qu’on veut, c’est super excitant, on voit les 3 disciplines, avec beaucoup de suspens. Tout le monde est tombé amoureux de ce sport, vraiment super entrée de l’escalade.

Je tiens aussi à dire que pour cette première, l’escalade a été super bien traitée, avec des structures de dingues, une super organisation, une mise en avant comme la grimpe le méritait, vraiment chapeau !

Et puis j’étais en contact régulier avec le commentateurs sur les chaînes en Suisse, et il me disait aussi que c’était dingue les retours qu’il avait. Beaucoup de gamins, si on a bien fait notre travail, vont se lancer ! La discipline qui a le plus bluffé les gens c’est la vitesse, on a beaucoup entendu « c’est incroyable la rapidité de ces grimpeurs », donc pour tous ceux qui dénigrent la vitesse, c’est grâce à la vitesse que la plus grosse pub retombera de ces J.O. Donc oui au final je pense qu’il va y avoir beaucoup de monde dans les salles, et ça le futur le dira ! »

Christopher Hardy, 25 ans à speaker l’escalade

Pour illustrer cet intérêt pour les J.O, l’audience de PG a par exemple été multipliée par cinq pendant toute la durée des épreuves d’escalade (en comparaison avec les épreuves de coupe du monde ou championnat du monde).

Quels changements pour l’escalade… ?

Avec cette sur-médiatisation, nous étions en droit de nous attendre à une forte hausse des pratiquants, notamment dans les salles d’escalade. Alors oui, globalement le nombre de pratiquants continue sa progression constante, mais la courbe suit le même chemin que précédemment. Donc aucun effet J.O ? À vrai dire, il est difficile d’analyser les effets post olympisme, et la raison est simple : le COVID est passé par là ! Le nombre de pratiquants en salle a d’avantage fluctué au gré des annonces gouvernementales, et les Jeux Olympiques n’ont pas fait le poids, ou tout du moins pas encore… En effet, les prochains J.O ayant lieu à Paris en 2024, l’escalade aura une nouvelle fois l’occasion de faire parler d’elle, et cette fois, les effets en France pourraient être nettement plus notables.

Si cette augmentation du nombre de pratiquants en salle peut faire peur, notamment si tout ce petit monde se retrouve en falaise, il est tout de même souhaitable de relativiser… Tout d’abord, tous les pratiquants indoor ne se transforment pas systématiquement en pratiquants outdoor (et heureusement !). Beaucoup d’entre eux vont à la salle d’escalade comme s’ils allaient à la salle de sport, avec le fun en plus.

En revanche, certains se laissent tout de même tenter par l’expérience du milieu naturel, et le COVID a d’autant plus suscité l’envie de se retrouver dehors avec ce besoin de liberté et de reconnexion avec la nature. Et c’est là que les salles privées et les clubs de la fédération ont leur rôle à jouer. Un rôle pédagogique surtout, afin de guider ces néo-pratiquants vers une pratique raisonnée, responsable et citoyenne en falaise, notamment grâce à des encadrants diplômés et passionnés qui pourront transmettre des valeurs et les us et coutumes en milieu naturel (on voit déjà les commentaires arriver concernant ce nouveau fameux diplôme mis en place par la FFME, le TFP, mais nous aurons l’occasion d’en reparler dans un prochain article).

Au delà d’un effet sur le rayonnement de la discipline, les J.O ont également un effet direct sur l’escalade de compétition en conséquence de ce qu’on appelle communément le sport spectacle. Le sport spectacle est tout simplement le sport qu’on regarde et qu’on met en scène. Depuis toujours, les sports ont évolué, essentiellement dans leur règlement ou leur format, pour les rendre toujours plus spectaculaires, moins ennuyeux à regarder (notamment à la télévision), et faciles à suivre.

Les compétitions d’escalade attirent de plus en plus de monde… | © FFME

Pour prendre exemple sur un autre sport, le tennis, a connu un changement récent avec la refonte de la Coupe Davis, qui sera organisée sur une seule semaine,  avec 18 équipes. Les rencontres se dérouleront désormais sur deux jours et non plus trois, avec toujours quatre simples et un double mais dorénavant en deux sets gagnants. L’objectif ? En finir avec les matchs interminables qui peuvent lasser le (télé)spectateur. En escalade, l’évolution des règles est également régie par le sport spectacle. Par exemple, le fait de diminuer le temps accordé dans les voies de difficulté (passer de 8 minutes à 6 minutes) permet de donner plus de rythme à la compétition, et oblige les grimpeurs à prendre plus de risque : fini les temps de repos parfois un peu longs en milieu de voie, désormais, il faut grimper presque sans pause, et pour le public, notamment néophyte, ce format est bien plus apprécié.

Le risque principal du sport-spectacle est de trop dénaturer une activité au prétexte de la rendre plus spectaculaire et/ou visuelle pour le public. Pour le moment, tout se passe bien en escalade et l’évolution des règles se fait en douceur, sans remettre en cause fondamentalement l’essence même de l’activité (même si inciter les grimpeurs à ne pas prendre de temps de repos peut aller à l’encontre de la nature de notre sport qui consiste uniquement à aller le plus haut possible sans prise en compte du temps).

… Et pour les athlètes ?

Vu de l’extérieur, on pourrait presque croire que les J.O n’ont pas tellement d’impact sur les athlètes, pas plus qu’une coupe du monde ou un championnat du monde, mais à y regarder de plus près, ces premiers Jeux de l’Histoire de l’escalade auront été un véritable chamboulement.

Tout d’abord, soyons clairs, la pression engendrée sur les athlètes aura été démultipliée.

Les Jeux représentent la plus grosse compétition sportive au monde. Rien n’égale une médaille olympique, c’est le graal à atteindre pour la plupart des sportifs de haut niveau. L’ultra médiatisation que nous décrivions dans la partie précédente participe largement à la pression qui pèse sur les athlètes, puisqu’aucune autre compétition n’est autant suivie, il y a énormément d’attentes derrière chaque sportif.  Rappelons nous d’ailleurs cette petite anecdote concernant Adam Ondra et la fameuse poignée de main avec le président Tchèque : un geste anodin en surface mais qui cache là encore beaucoup d’attente par les différentes nations qui participent aux J.O et donc beaucoup de pression sur les athlètes.

À quelques heures du lancement des J.O de Tokyo en 2021, Micka Mawem nous confiait:

On se retrouve au milieu de milliers d’athlètes, chaque athlète que tu croises, tu sais que c’est un monstre dans sa discipline, et là tu te rends compte où tu es… Il faut y être pour comprendre ce que sont les J.O. »

La délégation française sur les J.O de Tokyo durant la cérémonie d’ouverture

En effet, se retrouver au milieu des meilleurs sportifs de la planète tous sports confondus contribue également à la pression ressentie par les athlètes. Personne ne peut se venter de participer aux J.O sans aucune pression. Preuve en est, même la mutante slovène Janja Garnbret aura eu du fil à retordre malgré sa domination écrasante sur le circuit mondial : dans le documentaire « The Wall », elle se confiait notamment sur les doutes qu’elle avait, et la pression médiatique qui pesait sur elle (et qui était loin d’être simple à gérer). D’ailleurs, pour la première fois de sa carrière, Janja Garnbret aura eu besoin d’une pause après les J.O. Cette année, elle aura fait l’impasse sur les coupes du monde de bloc (elle n’aura participé qu’à la première étape) afin de recharger les batteries correctement et de se reconstruire un mental d’acier, car oui, les J.O usent, aussi bien physiquement que mentalement. Cette fatigue n’est pas uniquement le fruit de l’épreuve olympique en elle même, elle découle aussi et surtout de toute la préparation que les Jeux engendrent : la charge mentale et physique est importante plusieurs années avant l’événement, avec les différentes compétitions qualificatives pour les Jeux, et une fois le ticket obtenu, une course contre la montre démarre pour être le meilleur le jour J.

Toutes ces raisons font que l’entrée de l’escalade aux J.O influence largement la préparation des athlètes, c’est un fait.

Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Nous aurions tendance à répondre que oui ! L’objectif caché de tous les sportifs de haut niveau est d’être reconnu comme l’un des meilleurs dans sa discipline, et pour cela, les J.O sont un véritable tremplin. S’il n’y a qu’un seul champion olympique, devenir olympien permet déjà une énorme reconnaissance, impossible à avoir autrement (ou presque). Nous l’avons vu avec les Frères Mawem par exemple, qui se sont vus propulser sur le devant de la scène dans les plus grands médias français.

Mais cette reconnaissance acquise va-t-elle permettre aux grimpeurs de mieux vivre leur métier de sportif de haut niveau? C’est à nuancer…

Pour commencer il faut savoir qu’en France les primes pour les médaillés olympiques sont de 65 000 euros pour une médaille d’or ; 25 000 euros pour une médaille d’argent ; 15 000 euros pour une médaille de bronze. Pour le reste du classement, il faudra retenter sa chance.

Néanmoins, cette reconnaissance accrue qu’apporte les J.O aux athlètes peut leur permettre de décrocher de nouveaux contrats de sponsoring. Mais ces contrats sont souvent dépendants des résultats, et si les résultats ne suivent plus, les contrats peuvent être rompus aussi vite qu’ils ont été signés. Encore trop souvent, les sportifs de haut niveau (sans parler des sports les plus médiatisés qui sont une catégorie à part) peinent à joindre les deux bouts et les grimpeurs ne sont pas privilégiés.

Interrogés sur le sujet, les Frères Mawem avouent que les J.O leur ont permis d’être encore d’avantage propulsés dans la sphère médiatique et de gagner quelques milliers d’abonnés sur leurs réseaux sociaux, mais ils insistent sur le fait que leur seule participation aux J;O ne suffit pas à avoir un réel impact. En effet, nombreux sont les sportifs à participer aux J.O, voir même à en être médaillé, mais à vite retomber dans l’oubli. C’est un travail de tous les jours de communiquer, de créer une communauté autour de soi, de répondre à toutes les sollicitations médiatiques.

Si on en est là aujourd’hui, c’est la suite logique de tout ce qu’on a construit autour de notre projet olympique, on a réussi à accrocher le public, mais ça nécessite de l’investissement. Par exemple, après les JO, on a répondu à plus de 10 000 messages sur nos réseaux, et si aujourd’hui on a un bon retour, c’est aussi parce qu’on joue le jeu, on est proche de notre public, des médias, on ne se contente pas juste de poster des photos sur les réseaux. »

Les Frères Mawem lors les J.O de Tokyo | © Jess Talley

Vous l’aurez compris, vivre de son sport, et notamment de l’escalade est loin d’être simple, et il n’est pas rare de devoir trouver un autre moyen de rentrée d’argent car il est risqué de tout miser sur le sponsoring (encore une fois, nous ne parlons pas ici des sports ultra médiatisés comme le football ou le tennis par exemple).

Il existe également la solution de rejoindre l’armée pour certains athlètes, une option qui permet d’avoir un revenu pour vivre tout en étant largement libéré pour s’entraîner en tant que sportif de haut niveau. Manu Cornu, qui fait parti de ces athlètes à avoir rejoint l’armée nous en parle :

Globalement, tout le monde peut prétendre à intégrer l’armée, mais il y a des sélections sur les résultats déjà effectués, pour moi par exemple c’était suite à mes résultats à Bercy. Une fois l’armée intégrée, on a des journée à faire de temps en temps, on doit avoir une attitude correcte, respecter les valeurs de l’armée, de l’institution, de la France. Il y a très peu de contraintes au final par rapport à tout ce que ça nous apporte pour pouvoir pratiquer notre sport à haut niveau. »

Il y a tout de même quelque limites à cela, car si tout le monde peut postuler à l’armée en tant que sportif de haut niveau (sous couvert de résultats), il ne faut pas oublier que le nombre de place est limité, et que c’est l’armée qui gère directement le nombre de sportifs de haut niveau à recruter.

Mais une chose est sûre :. si les JO n’offrent pas directement un salaire aux sportifs, ils offrent parfois de meilleures structures pour s’entraîner

L’exemple le plus flagrant aura été celui des Etats Unis. Pendant longtemps la fédération d’escalade américaine était plus ou moins bien structurée et n’accompagnait pas tellement ses athlètes de haut niveau. Depuis l’annonce de l’ère olympique, de gros changements ont eu lieu, et notamment la création d’une team structurée, avec des coachs, et surtout d’un centre d’entraînement digne de ce nom à Salt Lake City, le « Training Center » ou le TC comme on l’appelle outre atlantique. L’objectif était simple: préparer et accompagner les grimpeurs américains pour qu’ils performent à l’international et plus particulièrement aux Jeux. Et nul doute que lorsque l’on met les moyens pour l’entraînement, ça paye! Nous avons vu une équipe américaine renaître de ses cendres, avec des performances sur la scène internationale comme il n’y en avait pas eu depuis longtemps (Colin Duffy, Sean Bailey, Brooke Raboutou ou encore Natalia Grosmann pour ne citer qu’eux…). En France, l’effet J.O s’est moins fait ressentir du fait que nous possédions déjà de bonnes structures pour l’entraînement, mais nul doute que des changements ont opéré également : plus de stages, un meilleur suivi, tout a été mis en place pour répondre présent au plus gros événement de la planète.

Ce à quoi il faut s’attendre pour la suite

Si notre sport est entré aux J.O l’année dernière, une chose est sûre, il ne va pas en sortir tout de suite puisqu’il est d’ores et déjà prévu de voir l’escalade représenté à Paris en 2024 et à Los Angeles en 2028.

Et comme prévu, si à Tokyo il était question d’un combiné bloc-difficulté-vitesse, à Paris nous aurons deux épreuves, la vitesse d’un côté et un combiné bloc-difficulté de l’autre, et enfin à Los Angeles, on l’espère, trois épreuves distinctes: le bloc, la difficulté et la vitesse (voire quatre épreuves si on y ajoute un combiné).

Publié le : 27 août 2022 par Charles Loury

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