Il y a quelques jours, la FFME annonçait la fin du conventionnement des falaises, suscitant ainsi des craintes pour les pratiquants outdoor qui appréhendent de se voir interdire l’accès à certains sites.
Nous sommes donc allés à la rencontre d’Alain Renaud, directeur général adjoint et responsable du pôle sites naturels d’escalade, et Rémy Moutardier, Vice-président en charge des sites naturels d’escalade, afin de leur poser quelques questions sur le sujet et d’éclaircir certaines zones d’ombre.
Il y a quelques jours, la FFME a annoncé mettre fin à toutes les conventions existantes, conventions qui permettaient jusqu’à présent aux propriétaires des falaises de ne pas être mis en cause en cas d’accident. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Pouvez-vous nous communiquer une date précise pour la fin de ces conventions ? Cela est-il acté dès aujourd’hui ou est-ce que la fin des conventions se fera progressivement ?
Ces conventions ont essentiellement vocation à formaliser l’accord du propriétaire pour que le public accède librement à son terrain. Et, effectivement, elles stipulent que la garde du site est transférée à la FFME, et par là même dégagent la responsabilité civile du propriétaire.
Depuis 10 ans, l’augmentation du nombre des sinistres à la suite desquels les victimes recherchent la responsabilité de la fédération du fait de la garde juridique des sites a nettement augmenté (principalement du fait de sinistres résultant de chutes de pierres). Le contrat d’assurances responsabilité civile de la fédération s’avère très déséquilibré (8.3 M€ de charges pour l’assureur liées aux sinistres contre 3.8 M€ de primes versées à l’assureur). Pour éviter des augmentations de primes trop importantes, la fédération est amenée à réduire son risque en dénonçant toutes ses conventions. L’objectif de la FFME est d’avoir dénoncé l’ensemble des conventions à la fin de l’année 2021. Donc l’opération se fera bien très progressivement.
Nombre de pratiquants en falaise n’ont pas de licence FFME, que pensez-vous de la solution, pour certains, d’imposer à tous les pratiquants d’avoir une licence afin de participer au financement de l’assurance ?
Toutes les solutions qui consistent à maintenir les conventions et à chercher des financements pour payer les primes qui ne manqueraient pas de continuer d’augmenter constituent une fuite en avant que nous estimons déraisonnable. En effet, tôt ou tard, compte-tenu de la fréquence des sinistres et de la judiciarisation de notre société, la FFME, en admettant qu’elle trouve des moyens de faire participer davantage de grimpeurs au paiement des primes d’assurances (hypothèse hasardeuse…), risque de ne plus trouver d’assureurs pour couvrir sa responsabilité. Ajoutons que la FFME ne souhaite pas et n’a pas le pouvoir d’imposer quoi que ce soit : prendre une licence reste un acte volontaire d’adhésion et de soutien au mouvement sportif que chacun est libre d’exercer.
Avez-vous une visibilité sur ce qui se fait dans les pays étrangers, notamment les pays connus et reconnus pour leurs nombreuses falaises (Espagne, Etats-Unis, …) ?
Le cadre légal de la responsabilité et le système assuranciel sont spécifiques à chaque pays. Et donc, tenter de s’inspirer des pratiques des autres s’avère rapidement peu pertinent. Il faut noter également que la théorie de « l’acceptation des risques » (http://dictionnaire-juridique.jurimodel.com/Acceptation%20des%20risques.html), que nous défendons, est un principe juridique à fort impact en vigueur dans bon nombre d’autres pays.
D’autres solutions ont-elles été envisagées par la FFME ?
Depuis 2017, la FFME a lancé un vaste programme qui vise à impliquer les collectivités dans la gestion des sites naturels d’escalade. Cette possibilité est prévue par la loi. C’est notamment la raison d’être des CDESI (Commission Départementale des Espaces, Sites et Itinéraires) et des plans qu’elle peut mettre en œuvre (PDESI). La mise en œuvre de cette opération a porté ses fruits puisque en 3 ans, à la suite soit d’une démarche volontariste des collectivités, soit d’une dénonciation de conventions concertées, le nombre de conventions restantes est passé d’ environ 1060 à environ 800. Cette politique de collaboration avec les collectivités territoriales continue d’être portée et promue.
Quel impact aura cette décision sur notre pratique de l’escalade en falaise ? Avez-vous des chiffres à avancer au regard des sites qui ont d’ores et déjà été déconventionnés ?
En parallèle de la campagne expliquée ci-dessus, la FFME a décidé en juin 2019 de procéder à la dénonciation des sites qui concernaient des terrains d’aventure. En effet, ces conventions exposaient la fédération de façon excessive compte tenu des difficultés d’entretien. Nous avons procédé à environ 150 dénonciations. Cette opération n’a généré aujourd’hui qu’une seule interdiction définitive sur un site très peu utilisé. Une seule interdiction pour près de 150 dénonciations. Par conséquent, si on ne peut pas certainement pas garantir que la décision de la fédération pour le reste des conventions ne va pas entrainer d’interdictions, compte-tenu de notre expérience, on ne peut pas affirmer qu’elle en entrainera massivement.
Qui aura la responsabilité des falaises qui étaient conventionnées par la FFME ?
Deux possibilités : la première est que le propriétaire privé ou public retrouve la responsabilité d’origine, puisque la « garde » n’est plus transférée. La deuxième est que, sous l’impulsion de la FFME, les collectivités acceptent de prendre cette responsabilité en signant des conventions soit « un département avec une commune », soit « une commune ou un département avec un propriétaire privé », les possibilités légales existantes aujourd’hui sont multiples.
Pensez-vous qu’une commune, un département ou une région prendra le risque d’être condamnée au même titre que la fédération en cas d’accident ?
Il faut savoir qu’il y a en France environ 2500 sites d’escalade. S’il en reste un peu plus de 650 conventionnés, par la FFME, cela signifie que 1850 propriétaires acceptent déjà ce risque. Par ailleurs, comme dit précédemment, certains départements ont massivement repris la gestion des sites en intégrant cette action dans le développement touristique et sportif de leur territoire. Par exemple, indépendamment de cette décision fédérale, le département de l’Ardèche sera dans un avenir proche gestionnaire de la quasi totalité des sites qui étaient jusque-là conventionnés par la FFME.
Il faut bien comprendre, par ailleurs, que l’exposition de la FFME au risque assuranciel était très important du fait du nombre de conventions qu’elle portait. Avec un seul site à gérer, une commune, par exemple, prendrait aujourd’hui un risque 1000 fois plus faible que ne l’a assumé la FFME.
On peut ajouter que les collectivités doivent déjà assurer des risques de responsabilité civile liés à des chutes de pierre, notamment sur le réseau routier. La responsabilité de sites d’escalade pourrait leur apparaitre comme marginale et cela nous a déjà été confirmé par certaines d’entre elles.
Il faut savoir également qu’une collectivité ne peut pas interdire l’accès à un espace public sans contrainte. Les décisions d’interdiction doivent être proportionnées au risque. Il y a donc matière à négociation, voire même à attaquer des décisions d’interdiction abusives.
La FFME avait engagé des discussions, notamment pour aller vers une évolution législative visant à protéger les propriétaires et gestionnaires. Où en est-on de ce côté-là?
Ces discussions sont toujours d’actualité. Le premier axe suivi par la fédération a été de se rapprocher d’un groupe politique du Sénat. Cette démarche a abouti en janvier 2018 à un vote favorable d’une proposition de projet de loi qui visait à exonérer les gestionnaires de sites sportifs en milieu naturel de la responsabilité sans faute. Ce vote n’a pas été suivi d’effet, le gouvernement restant maitre de la décision de porter ce projet devant l’Assemblée Nationale. Une relance de l’action a été récemment initiée par Michel Savin, sénateur de l’Isère. Nous pensons que, malheureusement, cette piste n’a que très peu de chances d’aboutir.
En effet, le gouvernement a choisi une autre façon d’aborder ce sujet en intégrant cette problématique dans un projet de réforme du code civil. Le projet, auquel la FFME a été associée de très près en liaison avec le Ministère du Sport, va dans le bon sens. Mais il apparait qu’ils ne supprimeront pas la responsabilité sans faute du gestionnaire. Au mieux, il laissera à l’appréciation du juge, la possibilité de partager cette responsabilité avec les éventuelles victimes. Le législateur tient en effet à mettre en place un cadre qui permet l’indemnisation du préjudice subi par les victimes d’accident.
Le calendrier de la mise en place de cette réforme reste très incertain et on peut d’ores et déjà garantir qu’il ne réglera pas tous nos problèmes.
Tous les contacts pris par la FFME avec les principaux ministères, avec des députés et des sénateurs, avec des associations d’élus (maires de France, départements de France, élus du sport…) n’y auront rien changé pour l’instant.
Que répondre aux grimpeurs qui pourraient penser que la FFME abandonne le développement des falaises au profit de la résine et de la compétition ?
L’intérêt pour l’escalade en milieu naturel reste profondément ancré dans la culture fédérale. Pour certains, déconventionnement est synonyme de désengagement. Cette théorie est parfois dure à entendre pour nous quand on mesure toute l’énergie mise au service de la défense de l’escalade en sites naturels par la fédération et ses comités territoriaux depuis 40 ans. Même si la décision fédérale de dénoncer les conventionnements ne change pas grand-chose à la pratique de l’escalade outdoor, nous pouvons comprendre la frustration que peuvent ressentir les passionnés et notamment les équipeurs. Pourtant, il y a tellement d’autres façons de défendre les falaises que le conventionnement : l’engagement dans l’entretien des sites, la recherche de fonds pour ce même entretien au travers du fonds de dotation RockClimber, les contacts avec les collectivités pour trouver des solutions en commun, la poursuite des efforts d’évolution législative, les formations, la mise au point d’outils de gestion des sites, la participation à l’élaboration des normes, la classification des espaces…
L’escalade est aujourd’hui une activité reconnue grâce à toutes ses composantes, indoor, outdoor, loisir, handisport, éducatives, sportives, compétitives, olympiques, associatives, commerciales, professionnelles… C’est la force de la FFME d’initier et d’accompagner tous ces changements. Elle est maintenant un acteur reconnu notamment grâce à cette diversité.
Le débat sur un positionnement plutôt vers le rocher ou la résine, vers la découverte de l’escalade ou le haut niveau, doit avoir sa place au sein de la FFME. Il est l’expression de la sensibilité de chacun et de sa volonté de faire glisser le curseur dans un sens ou dans l’autre. Mais il doit n’avoir qu’un fondement : la volonté de la fédération de promouvoir toutes les pratiques.
Le mot de la fin ?
C’est certes une page importante de l’histoire de l’escalade en France qui se tourne. Cette histoire retiendra néanmoins, sans doute, cette politique généreuse de conventionnement suivie pendant près de 40 ans par la fédération. Mais les schémas de gestion à durée illimitée, cela n’existe pas. Gageons que, par sa décision qui rebat les cartes de façon résolue, la fédération aura réussi à susciter, de la part de tous les acteurs de l’escalade outdoor, une réflexion profonde d’où naitront d’autres schémas de gestion des falaises plus équilibrés. A l’écoute de toutes les idées, la FFME restera définitivement impliquée dans ces évolutions.