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Mathilde Becerra: Quand l’escalade devient une cause humanitaire

- Le 19 novembre 2019 -

© Jameson Schultz

La performance sportive, un temps, c’est bien. Se dépasser, apprendre sur soi, se trouver au travers de multiples ascensions, dans une quête de vérité personnelle toute aussi intéressante qu’infinie. J’ai largement pris le temps d’exploiter ce chemin quelque peu solitaire, jusqu’au jour où l’envie de donner à mon tour s’est imposée telle une évidence.

C’est grâce à mon amie et partenaire de grimpe Katherine Choong que j’ai entendu parler de ClimbAID​. Une association fondée par Beat Baggenstos en 2016, s’adressant aux réfugiés et qui par le biais de l’escalade, ​tente d’améliorer la santé psychique et physique des jeunes réfugiés, de transmettre des compétences de vie, de construire des communautés inclusives et de favoriser la prise de conscience environnementale.

Un des principaux projets de ClimbAID est le “Rolling Rock”, un mur d’escalade mobile construit sur un camion qui se déplace dans la vallée de la Beqaa pour aller à la rencontre des jeunes réfugiés.

L’association possède également une structure fixe au sein d’ Arc en Ciel à Taanayel, un des partenaires de Climb Aid, qui permet d’accueillir les jeunes pour des séances hebdomadaires.

© Nina Dabboussi

Kathy et moi sommes donc parties 6 jours pour nous joindre aux actions de ClimbAID et défendre des causes qui nous sont chères.

Pour ajouter encore à l’expérience, nous sommes arrivées à Beyrouth dans une phase particulièrement intéressante : en plein cœur d’un mouvement révolutionnaire de la communauté libanaise envers son gouvernement.

Alors que le train-train de la vie quotidienne
« normale » semblait s’arrêter dans la capitale libanaise – routes bloquées, entreprises fermées, pancartes et tag incitant à la révolte – la « vraie » vie battait son plein dans les rues. Les gens chantaient, dansaient, s’embrassaient, faisant ainsi ressortir des valeurs de ​solidarité et d’entraide​ ​au sein d’une population pourtant hétéroclite (comportant à elle seule 18 communautés religieuses différentes). Même si je garde en tête cette phrase qui m’est venue spontanément « La révolution par la joie », je reste consciente que la situation est bien plus complexe et comporte de multiples nuances, mais en tout cas de prime abord, ma première impression en terre libanaise aura été un ​sentiment de chaleur, de joie et d’amour.

Après une brève immersion citadine, ​il était temps de naviguer le dédale que sont les routes libanaises au volant d’une voiture aux allures locales​ pour rejoindre la vallée de la Beqaa et l’équipe de ClimbAID composée de 6 personnes dévouées : Beat, Mohammad, Lena, Marlene, Jameson et Deniz.

Notre mission : aider à la préparation et à l’organisation de la 2​ compétition de bloc de la Beqaa,

événement pour lequel les jeunes s’étaient beaucoup entraîné, notamment grâce aux séances organisées par ClimbAID soit par les visites du “Rolling Rock”, soit au sein d’Arc en Ciel, voire même parfois en extérieur.

C’est donc dans la bonne humeur et la joie anticipée du sourire des enfants que, nous avons fait notre maximum pour aider l’équipe à réaliser un événement à la hauteur de ses espérances et surtout de son investissement.

Entre deux blocs à ouvrir et une bâche à poser, et pour nous permettre de mieux comprendre une des réalités actuelles au Liban, Beat et Mohammad nous ont proposé de nous emmener dans un camp de réfugiés Syriens​ ​qu’ils connaissaient.

Dehors, des enfants jouaient avec des débris trouvés autour du camp pendant que leur famille et les plus petits restaient dans leur maison, des tentes vétustes à même le sol. Mohammad, interprète et membre de l’association, nous expliquait que comme on pouvait le voir, ils ont un accès limité à l’eau et à l’électricité. Facile d’imaginer que la moindre averse inonderait l’habitat tout entier et rendrait les conditions de vies encore plus difficiles.

Une famille nous invitait alors à entrer pour nous offrir le thé et le déjeuner. Nous rencontrions alors les jeunes adolescents qui prendraient part à la compétition. Malheureusement, les adolescentes (âgées de 14 à 16 ans) avaient décidé de ne pas y prendre part. Elles m’expliquaient ainsi qu’à leur âge, il devient inapproprié de grimper ou de faire du sport. Envahie par l’incompréhension, je peinais à cacher mon émotion en apprenant qu’elles avaient abandonné leur passion naissante pour l’escalade. La réalité précaire de ces familles m’a violemment heurtée, car si lointaine des conditions dans lesquelles j’avais eu moi-même le privilège de grandir.

Puis le grand jour de la compétition était enfin arrivé ! Malgré un réveil aux aurores, c’est le sourire aux lèvres et plein d’entrain que nous commencions cette belle et longue journée, celle où on allait enfin pouvoir profiter et partager la joie de l’escalade avec les jeunes.

© Jameson Schultz

Avant même l’heure de départ annoncée, les premiers participants faisaient leur apparition, plus motivés les uns que les autres. ​L’excitation était palpable​, et même les visages des plus timides affichaient un petit sourire en coin qui en disait long.

Au lieu de s’isoler et de se préparer au mieux pour la compétition (comme nous l’aurions si bien fait), les jeunes hommes nous enlevaient les chaises et tables des mains pour nous aider dans les derniers préparatifs, habitude culturelle profondément ancrée au Liban.

Les jeunes filles Libanaises quant à elle, expressive à souhait, pétillantes et joyeuses, accouraient à nos côtés pour nous témoigner leur plaisir de nous rencontrer.

Alors que l’orage grondait et que la pluie s’abattait sur nous, mettant ainsi à l’épreuve les bâches montées de la veille, la compétition battait son plein dans une ​atmosphère emplie de gaieté​ ​où seuls les chants arabes résonnaient.

Pourtant bien habituée aux compétitions, j’étais stupéfaite ​du ​degré de motivation et de détermination​ de ces jeunes, qui persévéraient et ​se battaient de toutes leurs forces​ ​sans jamais se laisser aller à la déception ou à la frustration… ​De vrais exemples de ténacité, d’audace et d’humilité​. Le plaisir de grimper tout simplement.

Enfin, je me régalais de voir ​l’amitié​ et l’entraide entre eux malgré différentes appartenances religieuses ou d’éventuelles tensions culturelles; et de voir à quel point l’escalade réunit les gens.

Je n’ai jamais assisté à une compétition avec autant de cris d’encouragement et d’ambiance ! C’était le feu !!!

En même temps que je profitais de chaque instant en leur présence, je me revoyais à leur âge en compétition, à pleurer toutes les larmes de mon corps car je n’avais pas « réussi », comme si mon monde tout entier s’effondrait à cause d’une grille de résultat.
Je me souvenais râler de m’entraîner toujours au même endroit, dans une salle pas assez grande, pas assez neuve, pas assez tout. Certes j’ai évolué depuis, mais quand même… Je suis sûre que certains et certaines se reconnaîtront. Encore une belle leçon !

Au final, je suis infiniment reconnaissante d’avoir vécu cette expérience humaine. Je reste marquée par la beauté de tous ces sourires, la grâce de ces instants de joie, l’immense bonheur de ces moments de partage et de complicité.

Je n’ai simplement jamais été témoin d’autant de ​générosité et de gentillesse​ ​qu’au Liban. Ce peuple qui vit pourtant en majorité dans une ​situation précaire​, rayonne par ​sa bonté et sa joie de vivre​.

Une prise de conscience qui amène à revoir ses propres priorités avec plus de recul et d’humilité, à être plus reconnaissant pour ce qu’on a, à vivre simplement avec plus de légèreté, et surtout de revenir à l’essentiel en donnant plus d’amour autour de soi.

© Joonas Karjalainen

Je souhaite remercier tout particulièrement Beat Baggenstos et les membres de l’équipe pour leur accueil chaleureux, ainsi que Scarpa qui m’a soutenu dans ce projet.

 

Publié le : 19 novembre 2019 par Charles Loury

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