Interview : Oriane Bertone nous raconte sa première victoire en Coupe du Monde !

© Jan Virt
Le 4 juin 2023 est une date dont Oriane Bertone se souviendra toute sa vie.
Ce dimanche 4 juin 2023, la jeune Française de 18 ans a réussi à accomplir son rêve de gosse : remporter l’or sur une Coupe du Monde d’escalade. Et elle l’a fait de la plus belle des manières, en battant à la régulière la « reine » de la discipline comme elle l’appelle, Janja Garnbret.
Quatre jours après avoir entonné la Marseillaise à Prague, Oriane peine encore à se remettre de ses émotions. « J’y pense tout le temps », nous confie-t-elle. Elle qui se sentait fatiguée avant de débuter cette quatrième Coupe du Monde de bloc de la saison, ne s’attendait pas à décrocher son premier titre le week-end dernier. « Ça rend cette victoire encore plus exceptionnelle ! », avoue-t-elle.
Encore courbaturée de ses incroyables essais dans les quatre blocs de finale, Oriane a accepté de nous raconter en détail la façon dont elle a vécu cette compétition, qu’elle n’oubliera jamais.
Entretien avec celle qui vise maintenant son billet pour les Jeux Olympiques de Paris.
Salut Oriane, comment te sens-tu quelques jours après ta première victoire en Coupe du Monde ?
Alors pour commencer… J’ai des courbatures de PARTOUT ! Je commence doucement à réaliser ce qui s’est passé… Quand je me lève le matin j’y pense, quand je parle avec des gens, j’y pense… En fait, j’y pense tout le temps ! C’était un gros objectif, et je suis heureuse de l’avoir accompli.
Cette médaille d’or, tu en rêvais depuis des années. A-t-elle la saveur à laquelle tu t’attendais ?
Ça fait des années que je fais des compétitions, et j’en ai toujours rêvé. J’ai commencé l’escalade quand j’avais 8 ans, ça fait donc environ dix ans que je grimpe et dès le début, j’ai eu de très grosses ambitions. J’ai rêvé d’être championne du monde jeune, j’ai rêvé de faire des Coupes du Monde, j’ai rêvé de me battre « dans la cours des grands ».
J’ai réussi à atteindre mon premier objectif de devenir championne du monde quand j’étais en minime, puis l’étape d’après a été de participer à des Coupes du Monde. Mes premières années se sont bien passées, j’ai tout de suite fait de bons résultats. Et là, j’ai déjà entamé ma troisième année sur le circuit ! Plusieurs fois je ne suis pas passée très loin de cette première marche du podium. Et je peux te dire qu’une médaille d’or n’a rien à voir avec une médaille d’argent. Rien à voir ! C’est le plaisir d’avoir accompli ce pour quoi tu t’entraînes, c’est l’aboutissement de tout un projet, c’est vraiment exceptionnel !

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Si la veille de la compétition je t’avais dit que tu allais remporter cette Coupe du Monde, y aurais-tu cru ? Te sentais-tu particulièrement en forme sur cette étape ?
Clairement non ! Pour tout te dire, je me sentais fatiguée avant de commencer cette compétition. J’ai fait deux Coupes du Monde en Asie, une Coupe du Monde aux US, et entre les décalages horaires, les déplacements, les modes de vie différents, les changements liés à l’alimentation… Bref, j’ai commencé à me sentir fatiguée. J’avais donc décidé que Prague serait la dernière Coupe du Monde de bloc auquel je participerai.
Alors, en étant fatiguée et en sachant que Janja serait de retour, je ne m’attendais pas à ce que ce soit sur cette compétition que je décroche ma première médaille d’or. En Corée, je n’avais vraiment pas été loin de cette première place et je m’attendais plutôt à gagner sur l’une des trois premières étapes plutôt qu’à Prague. Ça rend cette victoire encore plus exceptionnelle !
Tu t’es qualifiée en dernière position pour les finales. Est-ce que le fait de passer première dans les blocs de finale a été un avantage pour toi ?
Oui, ça me réussit plutôt bien de passer la première en finale. C’est quand même beaucoup moins stressant, parce que quand tu passes dernière, tu as le temps d’entendre tout ce qui se passe et de comprendre ce que les autres finalistes font. En passant première, il y a 0 stress, et c’est justement l’état d’esprit dans lequel j’aime être.
Mais promis, la prochaine fois j’essayerai de passer en finale en étant un peu moins ric rac !

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Dans quel état d’esprit étais-tu avant de débuter la finale ? Qu’est-ce que tu te disais dans ta tête ?
Je me suis dit : « Tu n’as plus rien à perdre, donne toi à 100%. C’est le dernier combat avant une bonne pause bien méritée ! ». J’avais déjà le tour de qualification et le tour de demi-finale dans les pattes, j’attaquais le troisième et dernier tour et j’étais vraiment fatiguée. Je suis donc d’autant plus fière d’avoir donné tout ce que je pouvais et d’avoir su grimper efficacement.
J’ai trouvé un flow exceptionnel, je me suis laissé grimper. Je me suis sentie à la maison, comme si j’étais à l’entraînement, chez moi. La situation était hyper confortable !
À la lecture, qu’as-tu pensé des blocs ? Est-ce que tu t’es dit que tu avais une carte à jouer en les voyant ?
J’ai en effet vite compris que j’avais une carte à jouer dans cette finale ! En passant première, j’étais complètement libérée de toute pression et ça s’est vu dès que j’ai commencé à grimper. Les blocs étaient plutôt dans mon style, avec quand même du physique, pas mal de coordos, une bonne dalle classique… Il y avait vraiment de quoi faire, et j’ai senti à la lecture que tout était possible !

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Peux-tu nous expliquer comment tu as vécu la finale ?
Cette finale a été incroyable ! Je me suis sentie super bien, j’ai trouvé un flow exceptionnel, je me suis laissé grimper. Je me suis sentie à la maison, comme si j’étais à l’entraînement, chez moi. La situation était hyper confortable !
Dans le bloc 1, je savais qu’il allait falloir maîtriser la coordo du début, et serrer bien fort la prise d’arrivée. Donc je me suis dit que j’allais y aller en force, et tout donner. J’ai mis un premier run pour comprendre cette coordination, c’était une balançoire (et ce n’est pas le mouvement dans lequel je me débrouille le mieux). Mais j’ai compris comment bien la faire, et j’ai réussi le mouv au deuxième run. Là haut, j’ai hésité un peu, mais j’y suis vraiment allée au feeling, et ça s’est super bien passé ! J’ai serré la prise en étant bras carré (je me suis d’ailleurs surprise à me sentir aussi forte comme ça !), je me suis dit : « Ah ouuuuais, j’ai pris du biceps ! » (rires).
Le bloc 2, je me suis dit qu’il était pour moi. Je sais qu’en dalle, je me débrouille plutôt bien, et je voulais être le plus efficace possible. Ça a très bien marché, parce que j’ai vraiment fait confiance à mes pieds, je n’ai pas du tout forcé dans mes bras et je l’ai même trouvée facile finalement cette dalle. J’ai cru que toutes les finalistes allaient l’enchaîner, parce qu’il n’y avait rien de très compliqué à part le dernier mouvement là-haut où il fallait quand même pousser bien fort sur le pied gauche. Mais il s’est avéré qu’elle était bien plus compliquée que ce que je pensais, ce qui me rend d’autant plus fière d’avoir été aussi efficace !
Le bloc 3, je savais qu’il était pour moi ! En voyant cette coordo je me suis dit : « Nan mais là, si je ne la fais pas, j’abandonne ! ». C’était inconcevable pour moi que je ne la fasse pas ! Je me suis donc motivée et j’y suis allée freestyle. Du premier coup, j’ai compris la méthode et j’ai fait le mouv. Là haut, je n’avais pas vraiment vu à la lecture que j’allais pouvoir me servir de mon allonge, j’étais bien sur mon pied gauche en talon/contrepointe, je me suis étendue et je suis allée chercher la prise finale comme ça ! D’ailleurs, toutes celles qui ont fait le bloc ont utilisé la même shunte que moi.

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À l’issue de ce bloc 3, ma finale se passait plutôt bien : je comptais trois blocs en quatre essais ! Mais je savais que le dernier bloc serait probablement le plus dur pour moi, car il avait l’air plutôt physique. J’avais pour objectif de faire la zone et de me battre comme je pouvais dans la suite, car je commençais à vraiment fatiguer. Mais j’y suis allée à fond et j’ai eu la zone du premier coup. Bon, je n’ai malheureusement pas réussi à topper ce bloc 4, mais j’étais quand même super contente de ma finale !
À l’issue du bloc 2, as-tu compris que Janja n’avait pas enchaîné le bloc et que la finale prenait un tournant en ta faveur ?
Oui, j’avais compris qu’elle n’avait pas fait le bloc, mais je n’aime pas faire des calculs en cours de compétition. Je ne me suis pas attardée là-dessus, car il restait encore deux blocs, on en était seulement à la moitié de la finale, et rien n’était fini. On le sait, au cours d’une finale en bloc, tout peut changer jusqu’aux dernières secondes !
C’est comme si je me voyais grimper, j’étais en transe ! Pour moi, c’était comme le dernier run de ma vie. C’est une sensation que je n’oublierai jamais !
Dès l’instant où tu as attrapé la prise de zone du dernier bloc, tu étais assurée de la victoire. Il se passe quoi dans ta tête à ce moment-là ?
En fait, l’euphorie est venue un peu plus tôt… Je viens de te dire que je n’aimais pas trop faire de calcul pendant la compet, mais je t’avoue que j’en ai fait ! (rires). Dans la salle d’isolement, on a les résultats en direct, du coup j’ai vu que Janja n’avait pas fait le bloc 2 et qu’elle avait lâché des runs dans le bloc 3. J’ai donc compris juste avant de partir dans mon dernier bloc que j’avais juste à attraper la prise de zone pour gagner. Et cette zone, j’étais pratiquement sûre de l’avoir, parce que le premier mouv, c’était un jeté latéral (quelque chose qui correspond bien à mon style) et ensuite, il fallait aller chercher cette fameuse prise de zone.
Toutefois, j’ai essayé de ne pas trop me mettre la pression. J’ai tenté de me calmer en me tapant sur les jambes et en me répétant : « Calme toi Oriane, ne réfléchis pas trop. C’est juste TOI et le bloc ». Mais je t’avoue que c’était vraiment dur de ne pas penser à l’enjeu. En plus, quand je suis arrivée devant le bloc, il y a eu un petit incident technique (le chrono ne s’est pas lancé tout de suite). Nico [Januel, son entraîneur] en a profité pour me regarder, et du doigt, il a touché sa tête, comme pour me dire : « C’est dans la tête que ça se joue maintenant ». J’ai compris qu’il savait, et il a compris que je savais également. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était ma chance, et je ne pouvais pas la perdre !
J’ai fait le premier mouv à vue, j’étais dans un état incroyable. C’est comme si je me voyais grimper, j’étais en transe ! Pour moi, c’était comme le dernier run de ma vie. C’est une sensation que je n’oublierai jamais ! J’ai attrapé la zone, à ce moment j’ai entendu le public crier et j’ai tenté de continuer à grimper. Mais je n’étais plus là, j’étais dans la victoire et j’étais tellement fière de moi, tellement fière du boulot accompli, que je n’avais plus ni l’énergie, ni la volonté de me battre. J’avais fait le boulot. S’il avait fallu faire le bloc pour gagner, j’aurais fait le bloc. J’en suis persuadé. Parce que j’étais plongée dans un état de transe, qui me permettait de tout accomplir.

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Qu’est-ce qui a fait la différence selon toi sur ces finales ?
Quand on regarde les résultats, ce qui a fait la différence, c’est l’efficacité. Car finalement, avec Janja, on sort toutes les deux trois blocs, et ça se joue aux essais. Et en terme de grimpe pure, je pense que j’ai eu confiance en moi. En toute honnêteté, je n’ai jamais grimpé en étant aussi sûre de moi de toute ma vie. Jamais ! Alors qu’il n’y avait pas vraiment de raison, car comme toutes les autres finalistes, j’avais tout à faire. Et puis, j’ai aussi eu cette capacité à rester dedans, et ça j’en suis très contente, parce que ce n’était pas évident.
Est-ce que le fait d’avoir battu Janja Garnbret apporte un goût particulier à cette médaille d’or ?
Mais bien sûr que ça donne un goût particulier à cette médaille ! Janja, c’est la championne olympique, c’est la championne du monde, c’est la reine. La reine Janja ! Elle est très, très, forte, elle a remporté le tour de qualif, puis le tour de demi avec une grosse marge d’avance. Physiquement parlant, elle était complètement affûtée, elle était prête, elle était là pour gagner, il n’y a aucun doute.
Alors gagner une Coupe du Monde quand Janja est là, c’est… c’est… Je n’ai même pas les mots ! C’est fou. C’est momentané, parce que c’est juste une étape parmi tant d’autres, mais c’est tellement beau d’avoir été capable de le faire. Pouvoir se vanter de dire : « Moi, j’ai été capable, sur une compétition, de battre Janja Garnbret », ça fait plaisir !
On t’a vu courir dans les bras de Nico Januel, ton entraîneur. Avez-vous déjà débriefé de cette compétition ? Que t’a-t-il dit ?
Je t’avoue que la première réaction que j’ai eue, ça a été de lui sauter dans les bras. Parce que je sais que lui aussi s’investit à 100%. Au moment où j’ai eu la zone dans ce bloc 4, la première chose que j’ai ressentie c’était de la fierté. La fierté d’avoir été capable de lui offrir cette médaille d’or. Parce qu’on s’investit tous les deux à fond, c’est tellement d’efforts dans la vie de tous les jours, tellement de hauts, de bas, d’émotions. Alors, avoir été capable de sortir le round qui m’a fait gagner devant la championne olympique, c’est pour moi l’un des plus beaux cadeaux que j’ai pu me faire à moi-même et que j’ai pu lui faire à lui.
Alors je lui ai couru dans les bras parce que j’étais fière. De lui, de moi, de nous. De Manu [Cornu], et de tout mon entourage aussi. Parce que je suis loin d’être toute seule.
Pour l’instant, le seul débrief qu’on s’est fait, c’est que c’est bien, mais qu’il reste du boulot (rires). Il restera toujours du boulot ! Je suis consciente d’avoir encore beaucoup de marge de progression, et il y a vraiment, vraiment de quoi faire. Je suis capable de faire de belles choses, Nico le sait et je le sais également, donc il faut y retourner !
Monter sur ce podium avec Flavy, c’est la cerise sur le gâteau !
Ça fait quoi de partager le podium avec ton amie Flavy Cohaut ?
Ça rend clairement la compétition encore plus belle ! En sortant de ma demi-finale, j’ai voulu voir le kiné de l’équipe de France, mais je ne le trouvais pas. Alors j’ai demandé à Nico où il était et il m’a répondu qu’il s’occupait de la récup’ de Flavy. C’est à ce moment que j’ai réalisé que Flavy était en finale. Je me suis dit que ça allait être exceptionnelle d’être en finale avec elle pour ma dernière Coupe du Monde de l’année.
En terminant mon bloc 4 de finale, je me suis assise dans le leader corner, et j’ai vu dans le public que Manu me faisait signe. Il était en train de me dire que si Miho Nonaka ne faisait pas le bloc, alors Flavy terminerait troisième. J’étais tellement heureuse pour elle ! Elle aussi a été capable de sortir le round qui lui a permis de finir troisième sur une Coupe du Monde. Et tout le monde n’en est pas capable. Beaucoup espèrent, beaucoup en rêve, mais peu y arrivent. Alors monter sur ce podium avec Flavy, c’est la cerise sur le gâteau !

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Penses-tu que cette médaille d’or ait débloqué quelque chose en toi ?
Ça m’a clairement débloqué quelque chose oui ! Ça m’a aussi beaucoup remotivée ! Faire deuxième, ok c’est bien. Mais gagner, sur une étape où il y avait les plus fortes mondiales, c’est incroyable. Ça concrétise tous les efforts.
Il s’agissait de ta dernière Coupe du Monde de bloc avant les Championnats du Monde à Bern. Cette médaille te met elle en confiance pour aller décrocher ton billet pour les J.O de Paris ?
Je savais qu’après cette Coupe du Monde, j’allais me mettre à la diff pour préparer les Championnats du Monde. Alors, c’est sûr que c’est rassurant de voir que tous les efforts paient. C’est même hyper rassurant ! C’est un grand plaisir de me rendre compte que j’ai mes chances, que je suis légitime. Le projet continue de s’écrire et tout est de plus en plus limpide, donc ça fait du bien.

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As-tu une anecdote, quelque chose d’amusant à nous raconter sur cette compétition ?
J’en ai même deux ! La première, c’est qu’en sortant de ma finale, j’ai été pris en charge par l’équipe médicale pour le contrôle anti-dopage. Et il faut savoir que tant que tu n’as pas envie d’uriner, ces personnes te suivent. Alors pendant ce temps, j’ai signé des autographes, je discutais avec les gens, etc etc. Au bout d’un moment, j’ai fini par aller aux toilettes, puis je suis restée super longtemps au contrôle antidopage, je suis ressortie aux environs de 22h45, pensant que j’allais rentrer directement à l’hôtel. Mais en sortant, j’ai vu qu’il y avait encore une foule qui m’attendait pour que je signe encore des autographes, alors que ça faisait au moins 1h30/2 heures que j’étais partie. Ça m’a vraiment fait rire, parce que je ne m’y attendais pas du tout !
Et pour la deuxième petite anecdote, quand je suis descendu de mon bloc 4 et après la cérémonie des fleurs, Manu est arrivé et lui et Nico avaient tous les deux les larmes aux yeux ! Ils vont me tuer pour avoir dit ça, mais les deux là étaient quand même très émotifs et ça m’a fait plaisir (rires).