Le contenu

Critères de sélection en Équipe de France: la douche froide pour les spécialistes

- Le 23 décembre 2018 -

© Coll. Romain Desgranges

Il y a quelques jours, les nouveaux critères de sélection pour les équipes de France 2019 ont été publiés par la FFME, avec, on ne peut pas le nier, une volonté olympique très forte, qui, à priori ne va pas jouer en la faveur des grimpeurs spécialistes ne souhaitant pas se lancer dans le combiné. Mais, ce n’est pas vraiment une surprise, puisqu’il y a quelques semaines, Pierre-Henry Paillasson nous confiait à ce sujet:

L’escalade sera un sport olympique à Tokyo. On espère qu’il le sera à Paris. Donc oui, l’olympisme est une des priorités de la fédération. Une médaille olympique française serait un atout pour le développement de notre sport en France. Les spécialistes des disciplines et les grimpeurs sélectionnés pour la préparation olympique vont devoir se partager les quotas. Nous allons être contraints de faire des choix. Et ce n’est pas de gaieté de cœur que nous les ferons, soyez-en sûr. Mais en toute logique, la priorité pour cette année 2019 est bien entendue la sélection à Tokyo.

L’enjeu olympique est donc très présent, et cela peut se comprendre, mais où sont les limites? Certaines questions méritent d’être soulevées, nous allons le voir en analysant ces nouveaux critères de sélection 2019.


Rappel des modalités pour se sélectionner sur les Jeux Olympiques

Pour rappel, pour les grimpeurs français, trois compétitions au format combiné permettront de se qualifier pour les Jeux Olympiques (2 femmes et 2 hommes maximum par pays) :
Le Championnat du monde combiné (août/septembre – à confirmer – 2019 au Japon), le tournoi de qualification olympique (novembre 2019 à Tournefeuille) puis le Championnat d’Europe combiné (printemps 2020).

Pour chacune de ces compétitions une phase de qualifications préalables est mise en place par l’IFSC :

Pour les championnats du monde et continental : les places dans chaque discipline seront multipliées pour réaliser un classement combiné permettant de qualifier les 20 meilleurs qui participeront aux épreuves combinées de ces deux rendez-vous.

Pour le tournoi de qualification olympique (TQO) : les 20 meilleurs du classement coupe du monde « Overall » 2019 seront qualifiés à l’issue de la saison de coupe du monde. On comprend donc l’enjeu d’envoyer sur les étapes de coupe du monde les grimpeurs s’inscrivant dans une perspective olympique, afin de leur permettre de participer au TQO et peut-être de décrocher une place pour les JO.


Modalités de sélection pour les équipes de France

Ces dernières années, les sélections étaient faites d’un point de vu très rationnel: si les grimpeurs avaient de bons résultats en compétition et/ou en sélectif, ils pouvaient prétendre à être sélectionné sur les échéances internationales en fonction des quotas disponibles.

Dorénavant, les résultats ne seront plus une notion prioritaire pour les spécialistes d’une discipline qui pourront se voir remplacer par des grimpeurs visant le combiné (qui ne seront pas choisis sur critères de résultats mais au bon vouloir de la commission de sélection) :

« Pour chacune des épreuves les choix de sélections nominatives relatifs à une stratégie de préparation ou de qualification olympique seront prioritaires à toute autre sélection nominative. » 

© coll BlockOut

Exemple des sélections en équipe de France pour les étapes de coupe du monde 2019

Nouveauté cette année, certains grimpeurs seront sélectionnés pour toute la saison (sauf avis contraire de la commission):

« Les grimpeurs ayant réalisé un podium sur une étape de coupe du monde en 2018 sont présélectionnés pour l’ensemble des étapes de coupe du monde 2019 de la discipline où ils ont fait ce résultat : Anouck Jaubert, Bassa Mawem, Romain Desgranges, Victoire Andrier, Fanny Gibert. » 

Vous remarquerez qu’en bloc masculin et diff féminine, aucun grimpeur n’est concerné par ce critère de sélection (logique au regard des résultats 2018).

Vous pourrez voir un peu plus bas dans l’article que d’autres spécialistes sont sélectionnés (Micka Mawem, Manon Hily, …), non pas pour leur spécialité, mais parce qu’ils s’engagent dans un projet olympique. Les autres spécialistes ne souhaitant pas s’investir dans un projet olympique ne pourront donc pas intégrer les équipes de France cette saison, ou tout du moins très difficilement.

Pour les premières étapes de coupe du monde, en plus des grimpeurs cités juste au dessus, d’autres grimpeurs pourraient intégrer le circuit international:

« La commission de sélection proposera les grimpeurs qui pourront participer aux étapes de coupe du monde selon un classement établi en fonction de leur meilleure place dans la discipline concernée parmi :

1. Les 8 premiers sur une étape de coupe du monde en 2018

2. Le meilleur grimpeur du championnat de France 2019 en difficulté et en bloc, le meilleur du sélectif de mars 2019 (voie record et minima pour la vitesse), le cas échéant après ceux déjà sélectionnés au titre de leur résultats internationaux 2018. » 

Si on fait les comptes, très concrètement certains grimpeurs peuvent prétendre à une sélection d’entrée de jeu s’ils ont participé à une finale en 2018. Mais, il y a un mais! N’oubliez pas:

« Pour rappel, sur chacune des épreuves internationales ou européennes (jeunes et seniors), les choix de sélections nominatives relatifs à une stratégie de préparation ou de qualification olympique seront prioritaires à toute autre sélection nominative, y compris celles-ci. » 

Vous l’aurez compris, tout est mis en oeuvre pour favoriser les grimpeurs ayant fait le choix de l’olympisme, au détriment des purs spécialistes d’une discipline, à de rares exceptions près.

Sur proposition de la commission de sélection, voici donc le groupe initial des grimpeurs « olympistes » qui pourront participer aux étapes de coupe du monde (toutes disciplines confondues):

Certes, nous retrouvons des spécialistes dans cette liste: Anouck et Bassa en vitesse par exemple, Micka et Alban en bloc, etc… Mais ce qu’il faut comprendre c’est que ces grimpeurs vont également participer aux disciplines dans laquelle ils ne sont pas spécialistes: Anouck et Bassa, spécialistes de vitesse avant tout, vont par exemple également participer aux épreuves de bloc et donc prendre des places aux éventuels spécialistes. Cet exemple peut évidemment être transposé à toutes les disciplines.

Autre regret, ce groupe initial est sélectionné sans vraiment de critères définis:

« Les grimpeurs seront choisis par la commission de sélection, pour chaque compétition (et non l’ensemble de la saison), parmi ceux ayant eu des résultats significatifs à l’international en 2018 et 2019 dans au moins une discipline ou au championnat de France combiné 2018. Des grimpeurs à fort potentiel identifiés par la commission (jeunes ou seniors) pourront aussi intégrer cette sélection. Le nombre de grimpeurs concernés pourra varier en cours de saison.« 

On imagine cependant que les commissions de sélection se basent tout de même sur certains critères et notamment sur les projets sportifs des grimpeurs. Mais est-ce suffisant, et surtout est-ce équitable? Certes, nous reprochions dans certains de nos articles que les critères ne laissaient pas assez de place à l’humain. Là, nous sommes à l’extrême inverse, un juste milieu serait peut-être préférable…

Pour rappel cette année, les quotas sont de 5 hommes et 5 femmes sur les étapes de coupe du monde (10 sur une étape à domicile). Ce groupe initial ne laisse donc qu’une place chez les femmes pour une éventuelle spécialiste, et chez les hommes ce ne sera clairement pas possible d’intégrer la sélection sauf sur les étapes françaises de Briançon et Chamonix en difficulté.

Mais finalement, quel autre choix a la FFME dans cet objectif olympique? Il n’y a à vrai dire pas tellement d’issue. Le problème majeur étant de se servir des étapes de coupe du monde de spécialistes pour sélectionner des grimpeurs pour le combiné. Ne faudrait-il pas créer un circuit de coupe du monde dédié au combiné? Ou, en attendant les moyens supplémentaires, proposer uniquement certaines étapes de coupe du monde dédiée à la qualification pour le TQO afin de laisser les autres étapes aux spécialistes purs?

Selon nous, l’escalade a désormais 4 disciplines (vitesse, bloc, difficulté et combiné), mais à l’international seulement 3 disciplines  sont réellement présentes sur le circuit de coupe du monde (bloc, diff et vitesse). Si on compare à l’athlétisme par exemple, est-ce que les athlètes du décathlon, combiné de 10 épreuves dont une épreuve de 100m, courent avec les spécialistes du 100m? Évidemment que non…

Pour terminer sur une note positive, si l’on en croit les premières sélections officielles, la FFME fait l’effort de – presque – remplir les quotas (5 femmes et 5 hommes cette année) sur les premières étapes de coupe du monde.

Bref, une année qui ne sera pas simple pour nos spécialistes. Voici d’ailleurs le sentiment de l’un d’eux:

La publication de ces critères, bien que prévisible, est tombée comme un coup de massue pour les spécialistes. En effet, cela crée un gros manque de perspective pour les compétiteurs, et l’on peut quasiment considérer 2019 comme une saison « blanche ». La difficulté et la vitesse ont néanmoins un lot de consolation grâce aux 2 (1 pour la vitesse) coupes du monde en France qui ouvrent 10 places. Dans l’hypothèse fort probable où les 7 « olympistes » masculins participent, il reste 3 places… Malgré tout, il est possible de faire 2 finales sur 2 étapes et ne pas participer aux Championnats du Monde, ce qui est quand même affligeant. Le bloc reste la discipline la plus affecté où il est quasi-impossible de se sélectionner car aucune étape française.

C’est maintenant clair, avec une politique comme celle-ci, l’olympisme dessert l’escalade. Reste maintenant à perfer en falaise et s’entrainer dur pour gagner du niveau cette année en espérant un changement de stratégie pour la saison prochaine !

En attendant… gilets jaunes sur les Coupes de France 😉  !

Publié le : 23 décembre 2018 par Charles Loury

# Actualités PG# Dossiers# Grand Format

EDFffme