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Tout savoir du premier 9a+ flash de l’Histoire, avec Adam Ondra !

- Le 16 février 2018 -

La réaction d'Adam Ondra, en descendant de "Super Crackinette" 9a+ © Bernardo Gimenez

La news fait le tour du monde. En cette fin d’après-midi, ce samedi 10 Février 2018, un nouveau chapitre s’écrit dans l’Histoire de l’escalade. Une fois encore, c’est Adam Ondra qui en est l’auteur. Tout le monde le sait en trip à St-Léger, en France. Alors qu’est-ce que le tchèque a bien pu faire cette fois-ci ? Cinq mois plus tôt, il venait à bout de « Silence », le premier 9c du monde.

Samedi dernier, Adam faisait sensation en enchaînant le premier 9a+ flash de l’Histoire. Oui, c’est la toute première fois qu’une voie d’un niveau si élevé était enchaînée lors du tout premier run, en connaissant seulement les méthodes pour en venir à bout.

La voie

C’est dans « Super Crackinette » qu’Adam Ondra a réussi cet exploit hors normes. « Super Crackinette », c’est une voie d’une vingtaine de mètres, complètement à l’opposé de « Silence ». On oublie les coincements de genou et les mouvements la tête à l’envers, et on passe à un style old-school, de la rési pure, pas de repos, et de petites arquées qui imposent une escalade très intense.

Si intense que cette voie n’a connu qu’une seule ascension et non des moindres. Celle de l’allemand Alex Megos, qui signait la première ascension de cette voie, après trois jours d’efforts et de travail, en octobre 2015.

Cette voie est en fait un départ direct de « Crackinette », un 8c ouvert par Laurent Triay et enchaîné pour la première fois par Gérôme Pouvreau. Mais, au pied de la voie, le falaisiste français Quentin Chastagnier imagine  un départ direct dans le dévers. « Super Crackinette », 9a+, était née.


Comment aurait-on pu penser que quelques années plus tard, Adam Ondra allait flasher cette voie ?

Pour revenir sur cette énorme performance qui mieux que l’intéressé lui-même pour en parler ?

Adam Ondra nous raconte les moindres détails de cette nouvelle page de l’Histoire en personne…

© Bernardo Gimenez

Adam, d’où t’es venue cette idée folle de flasher un 9a+ ?

Si vous voulez vraiment tout savoir, cela fait maintenant 10 ans que j’avais cette idée derrière la tête. En fait, tout a commencé, en 2008, la première fois que j’ai vu « Biographie » à Céüse. Déjà à l’époque, je voulais essayer cette voie mythique. Mais je me suis finalement dit qu’il serait plus judicieux de ne pas se précipiter, et de la laisser de côté pour tenter de l’enchaîner flash. À l’époque, ça paraissait carrément ridicule !

C’est en 2012 que j’ai tenté de le faire. Et c’est à ce moment-là que je me suis dit que ce n’était pas si ridicule que cela. En effet, j’avais bien grimpé jusqu’au crux, mais à la fin j’étais complètement daubé. Je n’étais pas assez fort à l’époque pour flasher une voie d’un tel niveau.

Puis s’en est suivie une longue période où je suis tombé à court de 9a+ à essayer flash. Il n’y a pas tant de 9a+ qui se prêtent à un enchaînement flash. J’avais essayé « Selección Anal » à Santa Linya en 2014. J’étais à deux doigts de la flasher. Mais avec un peu de recul maintenant, je suis content de ne pas l’avoir flashé, parce que je ne pense pas que ce soit un vrai 9a+ de référence. On va dire que c’est un 9a+ « light », ou alors un 9a très dur.

Et depuis, je n’ai pas eu de déclic pour trouver le 9a+ parfait à enchaîner flash… Jusqu’en 2015. Quand j’ai libéré C.R.S, 9b à Mollans, je suis également allé faire un tour à St Léger. C’est la première fois que j’ai vu « Super Crackinette ». À l’époque, cette voie était encore à l’état de projet, elle n’avait jamais été enchaînée. Une magnifique ligne, entièrement sur des prises naturelles… La voie parfaite pour un 9a+ flash !

« Super Crackinette » était donc ton principal objectif en venant à St Léger cette année ?

Clairement oui ! Je m’étais entraîné chez moi pour l’enchaînement de cette voie. Intrinsèquement, les mouvements ne sont pas très durs, mais ce qui fait la difficulté de cette voie, c’est son intensité. « Super Crackinette » c’est une voie ultra-rési. La principale difficulté, c’est de pouvoir enchaîner tous les mouvements sans pouvoir se reposer. Il est même très difficile de reprendre de la magnésie ou de clipper. Tu dois juste avancer, respirer, et te battre contre tes doigts qui ne veulent plus s’ouvrir pour serrer les prises suivantes.

Comment t’es-tu préparé pour l’ascension flash de cette voie ?

Je suis arrivé à St Léger deux semaines avant. Malheureusement, la quasi totalité de la falaise était trempée. La seule voie sèche c’était « Super Crackinette ». J’aurais pu tenter l’enchaînement le premier jour, mais je voulais d’abord me familiariser avec le rocher et le style local.

Du coup, j’ai essayé d’autre 9a+, qui étaient plus ou moins mouillés, mais même après quelques jours d’effort, j’ai échoué. Essayer ces voies avec des prises humides s’est avéré être une mauvaise idée. J’ai commencé à douter… « Peut-être devrais-je attendre l’année prochaine pour tenter le flash de « Super Crackinette ? », « Suis-je assez fort ? »… J’ai commencé à me poser plein de questions. Mais finalement, tout cela s’est transformé en un énorme combat mental.

Je savais également que le plus important dans cette voie si intense allait être le rythme. Pour cela, Quentin Chastagnier, l’équipeur de cette version directe, est venu spécialement pour moi et m’a donné toutes les méthodes. Toutes ! Je lui ai posé tout un tas de questions. Je voulais connaître chaque forme de prise, si c’était une arquée plutôt plate ou crochetante, chaque emplacement de chaque prise de pieds. Je réfléchissais à chaque endroit où délayer, avec quelle prise clipper, dans quelle position… Sans avoir jamais touché une prise auparavant, je connaissais la voie par coeur.

Je l’ai visualisé, encore et encore, mentalement, les yeux fermés, ou encore en mimant les mouvements. J’ai assuré Quentin deux fois dans la voie le matin même. L’idée était que je fasse mon run en fin d’après-midi. J’ai appelé mon photographe Bernardo Gimenez. Tout était prêt.

Mentalement, dans quel état d’esprit étais-tu juste avant de te lancer ?

Honnêtement ? J’avais plus la pression qu’en finale des Championnats du Monde à Paris ! Je ressentais une pression énorme. Je manquais de confiance en moi à cause de mes précédents échecs dans les 9a+ du coin. J’avais pris deux jours de repos, à l’échauffement je me sentais bien, mais je ne savais pas trop à quoi m’attendre. En fait j’avais un mélange de pleins d’émotions. Je repensais à tous mes entraînements chez moi où j’étais fort, au fait que j’attendais ce flash depuis super longtemps, j’étais excité, impatient… bref tout se bousculait dans ma tête, jusqu’au moment où j’ai commencé à grimper. Là je suis rentré dans le flow.

© Bernardo Gimenez

Justement, comment s’est déroulée ta grimpe ?

C’était absolument incroyable ! J’étais dans cet état de flow. Un état qui ne se commande pas, mais quand il arrive, c’est juste énorme. C’est comme si quelqu’un grimpait à ma place. Dans le début de la voie, les mouvements me semblaient faciles, j’avais l’impression de ne pas forcer. J’ai passé le premier crux aisément, ça m’a donné confiance et ça m’a vraiment motivé pour la suite. Et malgré le fait qu’il y a peu d’endroits pour souffler et délayer, je n’étais pas du tout fatigué !

J’ai été surpris en arrivant au mouvement 22. Il y a deux trous dans lesquels je pensais pouvoir me reposer… Finalement ça a été tout l’inverse et cet endroit de la voie a été le pire pour moi ! En fait Quentin a des plus petits doigts que moi, et j’avais du mal à enfoncer mes doigts au fond de ces prises.

Cette petite péripétie m’a en quelque sorte sortie de ma zone de confort. Car ensuite, il y a une dernière section dure et j’ai eu peur de ne plus avoir l’énergie nécessaire pour serrer la dernière arquée. Mais j’ai débranché mon cerveau, et physiquement, j’ai forcé pour tenir cette prise. Plus rien ne pouvait m’arrêter jusqu’au sommet. J’ai clippé la chaîne et cette fois-ci je n’ai pas été plongé dans le silence. J’ai exulté ! Je venais de réaliser l’une des choses dont je suis le plus fier dans ma carrière de grimpeur ! Enchaîner un 9a+ flash.

Maintenant que tu as enchaîné cette voie, que penses-tu de la cotation ? Est-ce bien un 9a+ ?

Oui, je pense qu’il s’agit bien d’un 9a+. Même d’un 9a+ difficile. C’est dur, et jusqu’à maintenant, seul Alex Megos en était venu à bout. Il avait déclaré 9a+ lui aussi. D’autres grands grimpeurs se sont d’ailleurs frottés à cette voie comme Seb Bouin, Quentin Chastagnier, ou encore Cédric Lachat et ils sont tous d’accord pour dire que c’est 9a+.

Quels sont tes projets maintenant ?

Cette année, mon objectif principal était de flasher un 9a+. Peut-être qu’un jour je serai capable d’enchaîner un 9a+ à vue, mais pour ça, il faut que je devienne meilleur. Maintenant, je vais donc me déplacer dans différents endroits, et essayer d’enchaîner des voies dures assez rapidement. Pas de gros projets comme « Silence », mais des 9b et 9b+ que j’aimerais bien enchaîner en peu de temps.

Et bien sûr, il y a les Championnats du Monde à Innsbruck en Septembre… Et je compte bien arriver en forme !

Ton ascension de « Super Crackinette » a donc été filmée. Quand pourrons-nous voir le film ?

Oui, l’ascension complète a été filmée pour la prochaine édition du Reel Rock, qui sortira en décembre 2018… En attendant, dans une semaine sortira le film sur « Silence ». La grande première aura lieu à Arco en Italie, et l’intégralité de la soirée sera à vivre en direct grâce à un live streaming. Le film sera d’ailleurs à visionner en direct à travers ce live. Ensuite, il sera accessible directement sur Youtube.

Publié le : 16 février 2018 par Nicolas Mattuzzi

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