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Interview: Adam Ondra nous parle de « Project Hard », son 9c en devenir !

À 24 ans, Adam Ondra a passé le plus clair de son temps à marquer l’histoire de l’escalade. Il compte quasiment une vingtaine de voies dans le 9b et plus. En bloc, il est l’un des meilleurs du monde, avec plusieurs 8C, voir 8C+ à son actif. Que dire de son incroyable polyvalence, lui qui est capable de remporter un Championnat du Monde sur un mur artificiel, puis de sauter dans l’avion le lendemain pour libérer le « Dawn Wall », la grande voie la plus dure du monde !

Aujourd’hui, Adam Ondra est sur le point de franchir un nouveau cap. Il travaille un projet comme il n’en a jamais travaillé auparavant, à la limite actuelle entre le possible et l’impossible. « Project Hard », une voie lunaire, située dans la grotte de Flatanger, en Norvège. Son berceau. Quand elle se laissera dompter par le tchèque, cette voie sera probablement cotée 9c, tant les mouvements sont extrêmes.

Il y a une dizaine de jours, Adam réalisait sa plus belle progression en 4 ans de travail. Il parvenait à enchaîner la voie, sans les 20 premiers mètres, qui cotent 8b. Une avancée énorme pour lui ! Il n’hésitait pas à annoncer que ce « bout de voie » était le plus dur qu’il n’avait jamais fait !

Outdoor Journal est allé discuter avec Adam, pour savoir quelles étaient ses dernières évolutions dans la voie, comment il se sentait, quand est-ce qu’il pensait pouvoir libérer ce projet… Et quand Adam est lancé sur un sujet qui lui tient particulièrement à coeur, il ne s’arrête pas d’en parler !

Te voir évoluer dans « Project Hard » à travers tes petits clips vidéos est assez incroyable. Quels sont tes progrès récents dans la voie, depuis ta « connexion » en 9b+ la semaine dernière ?

Aucun, malheureusement. Depuis, je suis tombé malade et mes avancées dans la voie ont été stoppées. J’ai quasiment dû m’arrêter de grimper durant quatre jours.

Ce qui est étrange, c’est que durant les quatre premiers jours de mon trip ici, je me sentais vraiment, vraiment très bien, mais pour des raisons que j’ignore, je n’arrivais pas à passer le premier crux de la voie. Puis le jour suivant, je suis finalement parvenu à grimper cette connexion en 9b+.

Peux-tu nous décrire en détails l’intégralité de la voie ?

« Project Hard », c’est à peu près 45 mètres d’escalade. Tout commence par 20 mètres en 8b, avant d’arriver à un méga coincement de genou. Puis suivent 5 mètres assez faciles, avant de débuter le premier crux.

Le crux 1 compte 10 mouvements. C’est un 8C bloc, pour sûr ! À lui seul, c’est l’un des blocs les plus durs de la planète. D’ailleurs, c’est incontestablement le bloc qui m’a demandé le plus de temps. Et vous savez, je l’ai considéré comme un bloc à part entière dans ma façon de l’appréhender. Je me remontais sur la corde, jusqu’à arriver au départ du bloc, et l’essayais comme un bloc en lui-même.

Ensuite, il y a le second crux, qui est un 8B bloc suivit d’un troisième crux, qui vaut 7C.

La connexion en 9b+ est en fait un départ depuis le début du crux 1.
Maintenant, la prochaine étape est d’ajouter les cinq mouvements relativement faciles qui précédent le premier crux. Mais ce passage est tellement plus difficile après y avoir ajouté ces cinq mouvements.

La chose la plus frustrante, c’est que je ne sais toujours pas à quel point je suis proche de l’enchaînement de « Project Hard », car je n’ai toujours pas eu l’occasion d’essayer la voie en y ajoutant ces cinq mouvements, en étant frais. Je pense que dès l’instant où j’arriverai à enchaîner cette « extra connexion », alors je pourrai enchaîner la voie en entier.

C’est clairement ennuyeux d’être tombé malade. Je commence à me sentir un peu mieux, donc j’ai repris l’entraînement de nouveau, et j’espère que dans une semaine je serai en forme. Mais c’est comme ça… C’est juste un simple coup de froid, mais lors de mes tentatives dans « Project Hard », je dois être à 100% de mes capacités.

Donc tu penses être capable d’enchaîner la voie rapidement une fois que tu auras réalisé la connexion en partant de ces cinq mouvements ? Même s’il reste encore les 20 premiers mètres d’escalade que tu n’auras pas encore ajouté ?

Oui, je pense qu’une fois que je ferai la voie depuis le méga coincement de genou, je pourrai probablement l’enchaîner en entier.

Grimper les 20 premiers mètres en 8b, ne me fatiguent pas, mais pour le corps c’est tout de même éprouvant, donc les coincements de genoux qui suivent sont importants.

Après le méga coincement de genou, il y en a deux autres, qui sont moins bons, juste avant le crux 1. Je peux rester sur chacun d’entre eux environ 10 secondes peut-être. Puis, il y a un autre coincement de genou, entre le premier et le deuxième crux, qui est très important, parce que s’il n’était pas là, je pense que la voie coterait 10a ou quelque chose comme ça. C’est simple, s’il n’y avait pas du tout de coincements de genou, la voie serait carrément impossible pour moi !

Ce dont j’ai besoin pour enchaîner « Project Hard », c’est de la force max, de la puissance, mais aussi la capacité de me refaire à 100% durant le coincement de genou, dans un très court laps de temps.
Je me suis donc entraîné par rapport à ça, et ça semble fonctionner, mais qui sait… ?

Comment compares-tu cette voie face à d’autres projets que tu as déjà enchaîné, comme « La Dura Dura » par exemple ?

C’est totalement différent. Je n’ai jamais grimpé quelque chose comme ça auparavant. Au premier crux, il y a une paire de mouvements vraiment physiques pour commencer, avant de jeter les pieds au-dessus de la tête – le crux impose de devoir passer les pieds en premier – c’est déjà 8A+ ou 8B bloc. Ultra physique.
Puis ça devient vraiment délicat… La partie la plus dure est de tourner mon pied au-dessus de ma tête et de le coincer parfaitement dans une fissure. Il faut que le positionnement soit 100% parfait. Si ce n’est pas le cas, quand je m’élance pour le mouvement suivant, et même si je suis encore frais, je ne peux pas réajuster le coincement de pied…  C’est la principale difficulté du crux 1. Chaque mouvement doit être précis, mais en même temps, tu dois également te concentrer sur tous les autres petits détails.

J’ai essayé tous les mouvements tellement de fois, et chaque essai est toujours légèrement différent. La position de mon corps, le taux de serrage que j’applique sur chaque prise avec mes doigts, la position de mon pied dans la fissure… Tout est différent à chaque fois. C’est à la fois excitant et frustrant.

Je dois grimper ultra rapidement dans le premier crux, mais c’est tellement difficile d’être précis à cette allure.  Ce ratio entre vitesse et précision est beaucoup plus problématique dans « Project Hard » que dans tous les autres projets que j’ai pu essayer.

De par ma propre expérience, lorsque que les gens donnent des cotations de bloc dans le crux des voies, souvent, ils surestiment. Mais là, je pense que les cotations sont assez exactes.

Les coincements de genoux font de cette voie un 9c. Ils rendent possibles ces mouvements de malade au beau milieu de la voie. Je n’aurais jamais pensé pouvoir réaliser un 8C bloc après 25 mètres d’escalade à l’envers. C’est dingue !

 

Combien de jours as-tu passé dans la voie ?

Alors jusqu’à présent, j’essayais principalement le premier crux. Je pense que j’ai passé sept semaines dedans au total. Habituellement, je grimpe deux jours, puis je me prends une journée de repos. Donc pas plus de 35 jours de grimpe au total dans « Project Hard ». L’année dernière, je n’étais simplement pas assez fort, mais j’essayais tout de même de trouver la meilleure des méthodes.

Ce qui est difficile quand tu travailles un projet, c’est lorsqu’au bout d’une semaine ou deux, quand tu atteints un point où tu connais la voie par cœur, mais qu’il devient très difficile de progresser, à moins d’être plus fort.

J’ai vécu ça avec « La Dura Dura ». Au bout d’un moment, je pensais que j’allais l’enchaîner rapidement, mais une semaine plus tard, je n’avais toujours pas progressé dedans. J’avais juste besoin de devenir plus fort, pour aller plus loin.

Justement, afin de t’entraîner pour « La Dura Dura », tu enchaînais des blocs en 8C. Qu’as-tu fait pour t’entraîner pour « Project Hard » ?

Mon entraînement à consister à faire beaucoup de blocs. Tous ne simulaient pas à 100% « Project Hard », mais je traçais des blocs dans le même style d’escalade, dans la même inclinaison, avec le même type de préhensions. J’ai également fait de nombreux blocs avec des coincements de genou. Même dans les pires coincements de genou, j’essayais de tenir le plus longtemps possible. Ça m’a énormément aidé.

J’ai d’ailleurs entraîné spécifiquement mes muscles du mollet, et ça a été une révélation pour moi. Parce que dans un coincement de genou, tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un mollet en béton. Comme ça, vous pouvez rester la tête en bas, même sur un coincement de genou très mauvais, et tout votre corps est relâché à 100%, excepté votre mollet.

J’ai donc énormément progressé l’année dernière. C’est pourquoi je suis persuadé que si j’arrive jusqu’au méga coincement de genou, je ne tomberai pas après.

Comment restes-tu motivé dans un projet aussi dur ? Cela ne t’arrive pas d’être totalement découragé ?

C’est définitivement très frustrant parfois, parce que ça ne dépend pas toujours de ton état de forme, ça se joue aussi à d’infimes détails. Il y a des jours où je me sens super fort, mais mon coincement de pied dans la fissure n’est pas optimum, ou quelque chose d’autre n’est pas parfait, et rien ne fonctionne.

Mais ça fait juste partie du jeu ! J’aime ça. Les mouvements sont incroyables. C’est juste des mouvements tellement uniques sur du pur rocher. Chaque fois que j’essaye la voie, je suis épaté, même après d’innombrables essais, je suis toujours bluffé… C’est absolument fou que tous ces mouvements soient réalisables.

Quand as-tu équipé « Project Hard » pour la première fois, quand t’es-tu lancé dedans pour la première fois ?

Alors, la voie a premièrement été équipée par Laurent Laporte – il est venu en 2011. À l’époque, il n’y avait aucune voie dans cette partie de la grotte très déversante. Il y avait quelques vielles voies, peut-être une dizaine, datant des années 90, mais elles étaient toutes sur le côté gauche, qui n’est que très peu surplombant.

« Project Hard » était donc la première voie dans le secteur vraiment très déversant, mais Laurent a arrêté d’équipé juste à côté du crux 1, car il pensait que la suite serait impossible. J’ai fini d’équipé la ligne entière en 2013.

J’ai commencé à mettre quelques essais cette année-là. Je n’arrivais pas à faire tous les mouvements encore. Ça semblait dur, mais possible. Mais à l’époque, je ne pensais pas que j’aurais les capacités pour faire la voie. Je l’ai donc laissé de côté, jusqu’à l’année dernière.

L’année dernière, j’ai dû prendre une décision : me consacrer à « Project Hard » ou à « Project Big » ? Les deux valent probablement 9c. Mais à ce moment, « Project Big » me semblait plus intimidant. Etant donné que « Project Hard » se joue principalement autour du premier crux, j’espérais pouvoir trouver une méthode plus facile, ce que j’ai fait d’ailleurs, mais c’est toujours très, très dur…

« Project Big » comporte plusieurs mouvements de bloc empilés les uns après les autres. Un jour, j’adorerai l’enchaîner. Alors, je serai comblé par cette grotte de Flatanger.

Il y a également d’autres projets, pas aussi impressionnants que « Project Hard » ou « Project Big ». Mais en même temps, je ne veux pas passer toute ma vie dans un seul spot de grimpe, même si celui-ci est superbe.

Quand on parle de la grotte de Flatanger, on pense directement à toi. Les gens associent de la même façon Oliana à Chris Sharma, ou encore El Capitan à Tommy Caldwell. Pourquoi cette grotte t’attire tant ?

En terme de style, la grotte n’est pas si unique. Ce qui la rend vraiment unique, c’est le grain du rocher. La plupart des grottes dans le monde de mêmes tailles sont en calcaire.

Par exemple, les bloqueurs qui veulent grimper sur du beau rocher vont à Rocklands, en Afrique du Sud, ou à Red Rock, aux Etats-Unis. Les grimpeurs de falaise qui veulent se faire plaisir vont en Espagne, dans des endroits comme Oliana ou Santa Linya. Mais une fois sur place, ils sont horrifiés de voir à quel point le rocher est mauvais et abasourdis de voir la quantité de colle qu’il y a pour tenir les prises. Si vous prenez seulement les crux des voies en Espagne, on ne les compare pas nécessairement aux plus beaux blocs du monde. Les voies sont belles certes, mais en terme de beauté de mouvements, c’est rare de trouver quelque chose qui vous coupe le souffle.

Mais à Flatanger, c’est absolument incroyable. Si vous prenez à eux seuls les crux au milieu des voies, et que vous les implantés à Rocklands, ça serait des blocs majeurs.

Ce que j’aime le plus dans l’escalade, c’est la beauté des mouvements. Pour moi, la beauté des mouvements compte plus que la beauté de la voie. Et je suis totalement conquis par les mouvements ici, à Flatanger.

Combien de temps vas-tu rester à Flatanger cet été ?

Je n’ai pas vraiment de deadline, mais nous allons sûrement quitter la Norvège début août. Pour le moment, tant que je suis malade, il n’y a aucune chance pour que j’enchaîne durant ce trip.

Mais il est certain que je reviendrai cet automne. La question est de savoir combien de temps je suis prêt à sacrifier juste pour « Project Hard ». Passer tout le temps qui m’ait disponible là-bas me mettra peut-être trop de pression, donc je vais voir.

Dernière question, penses-tu être capable d’enchaîner cette saison ? La prochaine ?

J’espère que je pourrai réaliser « Project Hard » cette saison, mais si je n’y parviens pas, alors je croise les doigts pour la saison prochaine. Et si ça ne marche pas, alors la saison encore après ! Je me suis déjà tellement investi, que je veux absolument aller au bout. Mais avec ce type de projet, tu ne sais jamais vraiment combien de temps et de travail il te reste à accomplir, jusqu’à ce que tu sois  près, vraiment tout près de l’enchaînement. J’espère que ce sera pour bientôt.

Publié le : 26 juillet 2017 par Nicolas Mattuzzi

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