Le contenu

L’entraînement dans la peau – Chapitre 4 : Miroir, mon beau miroir, dis-moi…

Thomas Ferry, préparateur physique en escalade, se lance dans une web série où il nous racontera sa vie de coach, les hauts et les bas, le tout saupoudré d’une grande passion. Voici le 3ème chapitre ci-dessous. Et pour ceux qui auraient raté les autres chapitres: chapitre 1 / Chapitre 2 / Chapitre 3 .  Bonne lecture!

« Pour revenir rapidement sur Valence: c’était catastrophique. J’ai enchaîné les essais en carton, je n’arrêtais pas de zipper, je manquais de coordination dans les blocs où il en fallait… bref je n’étais pas au top. Et au bout d’un moment, le mental a commencé à totalement partir, et j’allais dans des blocs sans même avoir l’espoir de réussir, j’ai vraiment subi(…).La seule chose dont je puisse être content, c’est de ne pas avoir abandonné quand j’ai vu que ça ne marchait pas et avoir grimpé jusqu’à la fin ».

L’introduction est excellente. Je ne chercherai pas à me justifier, ni même à replacer cet exemple dans son contexte. Dix ans auparavant, j’aurais rougi de honte, touché en plein cœur, que ce soit pour une place en coupe du monde ou une finale au championnat départemental. Aujourd’hui, je savoure presque ces moments, qui m’apprennent beaucoup plus que les victoires. Je replonge donc volontiers quelques années en arrière. Mes entraîneurs (tous) étaient charismatiques. Je me revois enchaîner les séries de pompes à chaque but manqué (je faisais du handball), courir jusqu’à ne plus pouvoir d’une ligne à l’autre en sprintant, tout faire pour ne pas finir le dernier d’un exercice exposant forcément à un travail abdominal destructeur. Je me souviens revenir dans les vestiaires, rouge, tout rouge, heureux. A 15 ans, quand on aime le sport, quand on vibre à chaque annonce micro, quand « The Final Countdown » soulève les tribunes, quand on voit marqué son nom sur une sélection importante, on donne tout. Mes entraîneurs étaient des dieux, des légendes vivantes, la connaissance à portée de voix, avec l’expérience de mes rêves. Je croyais en eux, bien plus qu’en moi. Je m’imaginais arrière ou ailier droit le samedi suivant, ou avec quelques années de plus dans une grande équipe. Tout avait un sens. Et puis j’ai découvert la montagne, et l’escalade pour progresser en montagne. Je n’aurais jamais imaginé un jour planifier de la préparation physique à des grimpeurs. Et encore moins répondre à certaines questions.

« Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ». Quelle femme, vraiment, se dit cela devant le miroir de la salle de bain ? Quelle reine aujourd’hui se questionne ainsi ? Une Blanche Neige rôde toujours dans les parages, prête à voler la vedette à la Queen de la douche.

Non, il ne s’agit absolument pas d’un chapitre sur la beauté des grimpeuses, reines ou princesses. Il n’est pas question non plus d’évoquer les photographies des grimpeurs à la « plastique » parfaite. Le miroir ? J’avais déjà évoqué cette métaphore dans un article sur la relation entraîneur-entraîné(e) : le bon entraîneur est un miroir, qui renvoie une autre image de vous, en disant « vas-y, regarde, tu es capable de faire ça, d’arriver là ». Il faut travailler pour arriver à renvoyer cette image, juste. Il faut aussi que le sportif trouve la bonne distance pour se regarder, celle qui lui convient, qu’il accepte. Avec tout ce que cela suppose.

Une question revient régulièrement dans les suivis, surtout au début d’une planification : « dis-moi quand je serai fort, et j’irai faire mon projet », « peux-tu me dire quand je serai en canne pour planifier mes vacances »… Quand je vous disais que nous étions des miroirs ! Miroir, mon beau miroir, dis-moi surtout quand la planif portera ses fruits. Alors, irais-je jusqu’à rebondir sur la pomme empoisonnée, celle qu’on reçoit lâchement parfois quand on devient la Blanche Neige d’une « Reine » de l’entraînement ? Non. Il existe déjà une réalité, tous les sportifs n’ont pas des objectifs précis (autre que progresser, ce qui me paraît toujours inconcevable en tant que préparateur mental !) ; ils me laissent donc carte blanche dans les planifications, presque aveuglément. C’est même touchant. L’autre information importante, c’est que l’entraîneur, le prep ou le coach, est parfois celui sur qui on compte vraiment. On l’imagine intouchable, capable de tout prévoir, tout mesurer. Après tout, il est formé, non ?

Peut-on vraiment prévoir le niveau de forme d’un sportif ? Pas moi. Je le planifie, je l’anticipe, je l’espère, je mets tout en œuvre pour que la théorie et la pratique ne fassent qu’un. Et les fameuses « surcompensations » ? Est-ce qu’avoir un meilleur physique garantit d’être à son meilleur niveau, de ressentir pleinement sa grimpe, d’avoir le mental pour ? Non. En suggérant à un sportif que sa forme sera excellente sur telle ou telle compétition, on ne fait que de la communication. Bien sûr que c’est prévu, sur le « papier », et parfois on touche dans le mille. Hier encore, je m’amusais avec le ballon de ma (jeune) fille, une sphère déformée avec une tête de vache en guise de motif. 1 sur 5. Voilà le résultat de mes lancers francs. La première information, c’est que je suis (et j’ai toujours été) un piètre basketteur (en herbe, vous comprendrez le lien). La seconde information, c’est que j’ai toujours cru mettre le ballon dans le panier. Et il ne manquait rien ! J’avais prévu, j’ai tout fait pour réussir…Alors bien sûr, si on m’interroge sur le shoot réussi, je vais raconter ma stratégie, je vais témoigner en ma faveur. Sans parler des autres. Des 4 autres. Je vais à ce moment précis vous faire une confidence : je suis vraiment, mais vraiment meilleur en planification de grimpe qu’au basket.

Je crois que la vérité, c’est que nous prévoyons des états de forme, en effet. Cela dit, je n’aime pas les évoquer (sauf des suggestions bien placées, vous l’avez compris dans les chapitres précédents), pour différentes raisons : tensions inutiles si le niveau tarde à remonter (parfois, c’est la veille), placer un entraînement avant celui ou celle qui le suit, erreurs possibles etc. En réalité, ce qui est bien plus important que la prévision, c’est le contrôle. Prévoir, réellement, comme on l’entend si souvent, c’est impossible. Expliquer une réussite (ou une contre-performance), c’est possible. On ne prévoit jamais un titre, un podium, une place, mais on l’explique. C’est différent.

pretty-woman-635258_1280Maintenant que le cadre est posé, que vous avez imaginé la jolie brune et ses 7 compagnons dans un décor de dessin animé, que vous savez que les méchants entraîneurs du monde de la grimpe (et d’ailleurs) nous (on est toujours la Blanche Neige de quelqu’un) font parvenir des pommes empoisonnées en toute lâcheté, sans se présenter directement à vous, alors il est temps d’imaginer la petite musique accompagnant le joli conte. C’est bon, vous y êtes ? Vous avez probablement quelques images qui vous viennent, une forêt, une maison en bois, une lumière dans une clairière, quelques oiseaux bleus qui chantent, du mouvement, de la poésie. Même si, comme moi, ces histoires de princesses vous dépassent. La musique est importante. J’écris toujours avec de la musique, j’aime faire du sport avec une musique dans la tête. Nombreuses sont les études qui montrent qu’elle améliore grandement la performance. Cette fois, la transition est faite, je vous ai convaincu, je vais pouvoir amener une autre métaphore : la musique, si si !

Donc on reprend. D’un côté, les sportifs demandent aux entraîneurs (on ne sait jamais, si on décide de les laisser participer à une compétition en étant complètement épuisés !) ce qu’ils ont prévu. De l’autre, certains entraîneurs qui, ne serait-ce qu’en critiquant le travail des autres, amènent implicitement l’idée qu’ils possèdent LA vérité, et donc la possibilité de tout prévoir (en réalité, d’expliquer ce qui s’est passé, hein ?). Moi, je suis musicien, et vous allez me dire « quel est le rapport ? ».

La musique aurait pu avoir une place importante dans ma vie professionnelle (d’ailleurs, l’aura-t-elle un jour ?). Je suis pianiste, mais pianiste mauvais élève, celui qui n’a jamais trop pris le temps d’approfondir le solfège. Objectivement, je suis donc un très mauvais musicien, car je ne sais pas vraiment lire les partitions, ou alors au même rythme qu’un escargot affamé en quête d’une feuille de salade à l’autre bout la page. Pour ceux qui l’ont connue, je suppose que je ne dépasse pas la moitié de la Méthode rose. Pourtant, j’ai la chance de pouvoir utiliser ma mémoire et mes oreilles, et de jouer tout ce qui me passe par la tête, d’improviser, de composer. Jouer à l’oreille un morceau que j’entends une seule fois à la radio ne m’a jamais posé le moindre problème. Et quand, petit, j’avais le choix entre « l’oreille » et la lecture de notes, mon cerveau ne traînait pas à me trouver la meilleure solution. Mode automatique, quand tu nous tiens. C’est un triste paradoxe, j’ai besoin d’entendre, d’écouter pour jouer. Mais j’ai quand même quelques restes de solfège, suffisamment pour m’amuser, souvent, à comparer l’entraînement à la musique. Je me dis qu’au fond, ce n’est pas parce qu’on connaît le solfège qu’on sait composer un tube. Et ce n’est pas parce qu’on croit composer un tube qu’il le deviendra forcément. Néanmoins, quand une chanson frappe les esprits, on sait… en expliquer les raisons. Un entraîneur qui critique violemment, qui remet en question une méthodologie, des idées, des expériences, est en réalité un musicien qui joue toujours les mêmes notes, sur la même tonalité, avec les mêmes accords. La question n’est donc pas d’opposer la théorie à la pratique, mais d’utiliser la théorie pour la pratique. Prévoir un niveau de forme, c’est comme utiliser des accords commerciaux ; c’est savoir que ça marchera dans 90% des cas. Le commercial plaît mais n’apporte rien à long terme. Si je ne peux pas expliquer ce qui va se passer, si je ne veux pas l’expliquer, c’est que je ne sais pas à l’avance si mes planifipartitions vous conviendront. Et je ne vois aucun inconvénient à parler de mes « ratés ». C’est aussi pour cela que je ne communique plus sur les résultats des sportifs que je suis (certains le font librement) : ils cacheraient aussi mes erreurs. Je ne prétends pas mieux savoir, mieux prévoir. Je fais, je contrôle, et j’explique (si je peux !). Un entraîneur est un miroir qui doit dire la vérité et non la déformer. Il est un peu musicien et non un businessman. J’y reviendrai largement dans un autre chapitre.

Enfin, je terminerai ce chapitre en disant que ce sont surtout les grimpeurs qui me questionnent. Les grimpeuses, elles, ne se demandent plus depuis bien longtemps si elles sont les plus belles…devant leur miroir !

 

Publié le : 31 octobre 2016 par Charles Loury

# Actualités PG

entraînement